Steed Malbranque, l’âme est dans l’ombre

Olympique Lyonnais

OL OF FAME. Un peu blessé, un peu usé, Steed Malbranque va vraisemblablement quitter l’Olympique Lyonnais et les terrains de foot à 35 ans, après avoir joué cinq minutes en six mois. Et en ayant réussi la performance de ne jamais gagner un trophée avec un club qu’il incarne pourtant à merveille. Tant mieux, Steed n’est pas Juni. Un mec normal qui aura rendu la vie un peu moins ordinaire.

 

On l’a tous fait. Chercher parmi les joueurs lyonnais celui qui sait faire résonner quelque chose de soi à chaque fois qu’on le voit. Le joueur qui sait nous ramener à ce qu’il nous arrive d’être dans la vie, à défaut d’avoir pu l’être sur le terrain. À se rappeler le grand défilé des noms floqués sur les maillots qu’on donne à voir les jours de match – Anderson, Juninho, Benzema, Lisandro ou Lacazette –, le monde serait composé en grande majorité de types suffisamment chics pour tenir le monde sur leurs épaules.

 

L’histoire de la mauvaise fois

On n’en voudra à personne de s’y croire puisqu’on s’en est soi-même donné à cœur joie pendant des années, étalant son admiration et la reconnaissance qui va avec à coups de longues déclarations qui revendiquaient haut et fort leur penchant pour la mauvaise foi – puisqu’on reste toujours pas foutu de choisir le nom qu’on voudrait bien se faire floquer. Après tout, pourquoi s’en vouloir quand on n’a jamais rien su faire d’autre, à choisir ses joueurs comme les groupes de rock, les écrivains ou les cinéastes qu’on a voulu aimer. En pratiquant l’exclusive.

On vient de là, mitant des années 90 où on payait le demi dix francs, où quelque chose de la vie se racontait dans les interviews qu’on lisait dans les Inrockuptibles, où on allait guetter plusieurs jours de suite à la FNAC Bellecour si le dernier album de Pavement était sorti, où on se jurait d’avoir croisé Hubert Mounier en sortant – qu’on appelait encore « le chanteur de l’Affaire Louis Trio ». Tout ça pour finir par patienter en allant prendre son billet au guichet à Gerland, en Jean-Bouin Inférieur, parce que c’est encore de là qu’on voyait le mieux les virages ouverts aux quatre vents.

Jusqu’au jour où on s’est rendu compte que c’était peut-être là qu’on vivrait au plus près l’éclosion d’un de ces joueurs sortis de la formation qui étaient eux aussi en train d’entrer dans la vingtaine et pour lesquels il faudrait imaginer la carrière à suivre – faute de savoir s’y prendre pour s’engager dans sa propre vie. On s’est d’abord dit que ce serait Kanouté. Avant de comprendre qu’il irait beaucoup trop vite et peut-être trop loin pour que l’identification fonctionne. En attendant Govou, il y avait une place à prendre. Comme ça que Malbranque s’est pointé en 1998. On l’avait déjà aperçu un matin, un peu après le réveil, dans Téléfoot, ne sachant que faire du micro qu’on lui tendait et de la comparaison qu’on lui envoyait alors, genre de Deschamps du futur pour son habitude à occuper le rôle de capitaine dans les sélections par lesquelles il était passé.

 

Radio l’ombre

La comparaison s’arrête là, parce que le joueur qu’on commence à voir filer, à droite plutôt qu’à gauche, montre surtout qu’il sait combiner avec Dhorasoo. Vikash a tout pour plaire : les petits tours sur lui-même quand il faut se défaire de l’adversaire, le sourire en coin et des disques des Pixies. De quoi lui pardonner l’essentiel : ne pas incarner ce joueur lyonnais qui s’emploie le cœur en bandoulière, quitte à perdre de sa superbe pour virer chien quand le temps s’y prête. Dhorasoo préfère la fantaisie au militaire. Et disparaît du match quand le milieu ne tourne plus rond. C’est là que Malbranque commence à sortir de l’ombre, à la façon de tous ces gars passés par le magistère du père Broissard.

C’est aussi là que son histoire avec l’OL se compose. Quand le temps n’est pas encore au succès, qu’il faut patienter avant de s’engager dans ce qui deviendra l’âge d’or du club. Et le jour où il faut se barrer, c’est qu’il est trop tôt : « J’étais un peu impatient, je voulais jouer tous les matchs. Avec le recul, je me dis que j’aurais dû être moins pressé. » Steed s’en ira porter haut les couleurs de la lyonnaise du way of lifedans des clubs de Premier League que personne ne regarde jamais (Fulham, Sunderland, Tottenham), gagnant au passage le titre honorifique le plus improbable de l’histoire, celui de joueur préféré du Premier ministre britannique.

 

Olympique Lyonnais

 

Le triomphe qu’on n’aura pas vu (re)venir

Malbranque n’aura donc pas droit à la gloire des années de domination, aux soirées électriques de Ligue des Champions, aux triomphes dans un hôtel Mercure des bords de l’Yonne. C’est aussi le moment qu’il a choisi pour revenir, quand les coups-francs de Juni ont foutu le camp sur YouTube et que les nuits de Govou pointent désormais en cure à Évian.  On s’en fout, car c’est dans ces retrouvailles que tout va faire sens : les premières armes dans un maillot trop large, les choix qu’on fait mine de regretter, le succès des autres qu’on voit de loin. Et ce retour en grand quand on sait qu’il n’y a plus rien à gagner. À l’exception de ce qui compte vraiment, cette impression d’avoir enfin trouvé celui avec lequel la reconnaissance devait opérer.

On gardera au chaud pour longtemps trois souvenirs de ce retour inespéré de 2012. Le tout premier, face à Valenciennes, où il change le jeu d’une équipe qui se traîne à coups de courses enragées dans les pattes adverses et de relances vers l’avant, toujours vers l’avant. Le cœur est déjà gros quand il embrase Gerland quinze jours plus tard face à Ajaccio, après avoir pris le temps de poser ces marqueurs qui comptent dans les pages de l’Équipe : « On est des mecs normaux… » Il faut attendre la pluie battante et la gadoue de novembre pour que l’affaire vire au grand récital, face à Bastia. Après ça, on posera bien à Deschamps la question d’une sélection en équipe de France. Il n’en est sans doute pas très loin. On sait surtout qu’on n’en est plus là.

Il y a une histoire à terminer. Comme toutes celles qui n’ont jamais vraiment su commencer, on pourra toujours dire qu’on l’a vu arriver de loin. À coups d’apparitions toujours plus en pointillés, pour qu’au final le destin emporte la décision. On ne lui en voudra pas pour autant. Parce qu’au moment de se quitter, on n’a plus rien à regretter. Ni les choix de début de carrière qu’on pensait foireux, ni le talent qui éclabousse suffisamment au retour pour se demander comme on a pu s’en passer toutes ces années, ni les longs silences de celui qui a bien mieux à faire – se livrant corps et âme sur le terrain –, ni la disparition devenue inévitable dans un milieu que se dispute la marmaille. Parce que Steed Malbranque a su jouer comme aucun autre une partition plus essentielle. Celle qu’on lisait dans les interviews des Inrockuptibles. Qu’on entendait dans les chansons de Pavement. Qu’on allait retrouver en Jean-Bouin Inférieur. Une histoire de la vie.

Serge Rezza

(Photo Nolwenn Le Gouic – FEP / Panoramic)

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