L’OL présente la note, les bahloulistes paient l’addiction

Olympique Lyonnais

MERCATO. C’est désormais officiel : Fares Bahlouli va quitter l’Olympique Lyonnais. Le milieu offensif de 20 ans va rejoindre l’AS Monaco où l’attend un contrat de cinq ans moyennant 3,5 millions d’euros et un pourcentage à la revente. Un gâchis pour de nombreux supporters de l’OL mais peut-être la seule chance de résurrection pour l’un des joueurs les plus talentueux passés par le centre de formation, après deux années ratées dans le club de sa ville natale. Et pas seulement à cause de lui.

 

On en a fait des caisses, ici et plus encore sur nos comptes Twitter et Facebook. Il y avait de l’exagération, entre l’ironie et une subjectivité assumée. On n’a peut-être jamais vraiment cru que Fares Bahlouli décrocherait le Ballon d’or, mais l’idée ne nous paraît toujours pas plus absurde que de le voir être le sixième choix dans son club formateur au poste de meneur de jeu ou même d’avant-centre. Alors on s’est fait et refait (et re-refait) les montages YouTube de ses performances en CFA, à Rodez et, surtout, contre Vesoul.

Les noms des préfectures de l’Aveyron et de la Haute-Saône font sourire, et ont valu de nombreuses railleries à ceux qui en ont assuré la promotion. On y voit pourtant un beau résumé de la fin de carrière lyonnaise du Gone de Mermoz : un concentré de talent indécent, et pas mal de malchance, entre but injustement refusé, tir qui touche la barre puis le poteau et, surtout, la maladresse de certains coéquipiers. Il serait malhonnête de résumer ces premiers rendez-vous manqués avec le foot professionnel par la seule déveine. Mais il est incontestable que Bahlouli a moins été gâté par ses deux derniers entraîneurs que par la nature – on parle ici de ses pieds – et il n’est pas exclu que le premier facteur soit une conséquence directe du second.

 

Sixième choix

C’est une forme de paradoxe : un type doué doit, en France en général et à Lyon en particulier, en faire deux fois plus que les autres. Ce n’est pas par hasard si on dit souvent d’un joueur talentueux qu’il est « facile ». Or il faut en suer et il est clair que Bahlouli n’en a jamais fait deux fois plus que les autres. C’est son erreur. S’il avait eu la force de passer outre ce sentiment d’injustice, il aurait fatalement réussi à grimper dans la hiérarchie. Ce n’est pas mépriser Rachid Ghezzal que de dire que son cadet de trois ans est meilleur que lui, et on ne voit pas bien comment il aurait pu être moins efficace (trois passes décisives et un but en 32 matchs de Ligue 1 – dont 16 titularisations – pour Ghezzal). Dès lors Rémi Garde et Hubert Fournier s’en sont très vite lassés, à chaque fois dès la fin du mois d’août, et à chaque fois de manière assez abrupte. Mais puisqu’ils avaient la légitimité de leur poste et des résultats, il n’y avait pas que les moutons de Panurge pour leur accorder un blanc-seing.

 

Petite boulette, grosses conséquences

À deux reprises, pourtant, Rémi Garde a semblé utiliser Bahlouli comme un prétexte : la première fois lorsqu’il l’a lancé en Ligue 1, à tout juste 18 ans, le 12 mai 2013. C’était contre le PSG, venu valider ce jour-là son titre de champion à Gerland (0-1), et les entrées de Bahlouli mais aussi d’Anthony Martial tout comme la titularisation de Yassine Benzia résonnaient comme un message à la direction, du genre : « On me demande de faire ça, mais je n’ai que ça. » La deuxième semblait tout aussi politique. Elle se déroulera trois mois plus tard, dans la foulée d’une défaite sur la pelouse d’Évian (2-1) que Benzia et Bahlouli avaient pris un peu trop à la légère aux yeux du staff. Dans l’entourage des joueurs, on rappelle que ces derniers avaient seulement répondu aux sollicitations des supporters avant de monter dans le bus. On n’était pas là, mais on sait que la mise à pied tombait pas mal au moment où il fallait réintégrer Bafétimbi Gomis et Jimmy Briand dans le groupe pro après la gestion catastrophique de leurs départs, qui n’auront jamais lieu cet été-là.

 

Démotivation

Les deux « pépites » ont alors la sensation qu’on leur a fait à l’envers, mais ne vont rien faire pour donner des remords à Garde et à ceux qui ont son oreille. Convoqué à Villefranche avec la CFA, ils sont insipides. Il n’est alors question que de démotivation – ce qui est évidemment une faute -, sauf qu’il est difficile d’expliquer qu’on peut apporter dans l’élite quand on ne fait aucune différence en quatrième division. Finalement Bahlouli en refera quelques-unes, et son éviction du groupe pro n’est pas si aberrante que ça au regard des forces en présence, même si le voir rester sur le banc à Odessa (16e aller de Ligue Europa) alors que l’attaque était emmenée par un duo Briand-Danic aussi insolite que stérile avait exaspéré les bahloulistes et probablement deux ou trois simples amateurs de football.

 

Toute mauvaise sortie est définitive

Mais c’est bien sous Hubert Fournier que la carrière de Fares Bahlouli connaît un ralentissement significatif. Lors de la première journée de championnat contre Rennes, le n°29 de l’OL réalise dix petites minutes enthousiastes, au cours desquelles il délivre un bon centre puis une jolie frappe du gauche. Le week-end suivant, sa rentrée à Toulouse réveille l’OL alors mené 2 à 0 : elle permet un retour au 4-4-2 qui sécurise l’ensemble et son décalage pour Jordan Ferri est à l’origine du but d’Alexandre Lacazette (2-1). Il est donc titulaire au poste de meneur de jeu contre Astra Giurgiu pour le barrage aller de la Ligue Europa. Sa première mi-temps est correcte, même s’il ne fait aucune différence, sa deuxième mi-temps est pénible.

Néanmoins, son équipe gagne quand il sort à la 68e avant d’encaisser deux buts – une constante : Bahlouli n’a « encaissé » que deux buts en quatorze apparitions avec les pros, mais on n’ira pas jusqu’à y voir un rapport de cause à effet. Cette rencontre est un échec et sert encore de référence aux bahlousceptiques : « Il a eu sa chance, il ne l’a pas saisie. » Derrière, il n’entre pas contre Lens malgré l’apathie générale (0-1). Pour le match retour à Giurgiu, il entre à vingt minutes de la fin et sert, au terme d’un petit festival sur le côté droit, Gaël Danic pour la balle de la qualification au bout des arrêts de jeu. Le Breton envoie sa reprise en tribune. Une dernière apparition en août de quatre minutes à Metz puis plus rien jusqu’en janvier et ces douze minutes contre Toulouse alors que le match est plié (3-0). Ce sera la dernière fois que Fares Bahlouli portera le maillot de son club formateur avec les pros.

 

Nantes, la rupture

La cassure définitive a lieu dix jours plus tard. L’OL doit jouer à Nantes en 16e de finale de Coupe de France et Le Progrès et L’Équipe annoncent de concert sa titularisation. L’OL marche sur l’eau en championnat (leader, six succès consécutifs) et il faut reposer les cadres pour éviter la surchauffe avant les chocs à Monaco et contre le PSG. Finalement Hubert Fournier titularise Rachid Ghezzal à la mène et reconduit la paire Lacazette-Fekir. Le week-end suivant, Lacazette se blessera à la cuisse contre Metz alors que Bahlouli n’est pas dans le groupe, et n’y sera plus jamais. Déçu de n’avoir pas joué à Nantes (où ses coéquipiers se sont inclinés 3 à 2), il se fait remarquer sur le chemin du retour en faisant un sort au buffet, sans même chercher à se faire discret. Tout le monde avait déjà remarqué les courbes de son postérieur, mais ça ne va dès lors pas s’arranger dans les semaines suivantes. À tel point qu’il est obligé de se rendre à Merano, avant son vingtième anniversaire, où il va perdre en une semaine la quasi-totalité de ses 8 kg superflus.

 

« C’est un joueur qui a peut-être du talent »

Les bienfaits se font ressentir, en tout cas en CFA, où Bahlouli enchaîne les bonnes prestations. Et si Alain Olio, l’entraîneur de la réserve, multiplie les attentions et les encouragements à son égard, il ne reçoit aucun signe de la part du staff d’Hubert Fournier. Le très influent Bruno Genesio n’est pas emballé, un peu comme cela avait été le cas avec Nabil Fekir un an plus tôt. Alors, dans la foulée d’un très bon tournoi de Toulon, quand Monaco s’est montré intéressé, personne à Lyon, en tout cas du côté des décideurs, ne s’est opposé à un départ. Et tout le monde est persuadé d’avoir fait une bonne affaire, en témoigne le cynisme du communiqué officiel : « Le club est heureux d’annoncer le transfert de l’un de ses espoirs, Fares Bahlouli, qui, malgré son talent reconnu, n’a fait que quatre apparitions en Ligue 1 la saison dernière et n’a été titulaire qu’une fois, en Europa Ligue contre Astra. » On ne sait pas encore si la sentence est plus méprisante pour les recruteurs ou pour l’intéressé. Quelques minutes plus tôt, Hubert Fournier n’avait pas pris plus de pincettes : « C’est un joueur qui a peut-être du talent mais qui n’a pas pu l’exprimer du fait de la concurrence avec des joueurs internationaux. »

 

Ni visionnaires, ni aveugles

Les bahloulistes, parfois associés au Libéro mais qui lui préexistaient, en ont aussi pris pour leur grade lors de la conférence de presse du coach de l’OL : « Pour ce qui est des critiques, chacun a le droit de s’exprimer et je sais qu’il a de nombreux supporters sur la sphère Internet. » Au-delà du ridicule de la phrase (on connaît très peu de supporters qui partagent leur avis par télégramme), il y avait là aussi un dédain, largement partagé, envers ceux qui sont au mieux perçus comme de gentils romantiques un peu idiots, au pire comme les produits dégénérés d’une société de la starification rapide. Puisqu’on en est un peu, on rappellera qu’aimer le foot, c’est aimer les footballeurs, a priori ceux qui apportent le plus d’émotion. S’il y a émotion, il y a certes moins de rationalité, mais il reste à prouver que le talent de Bahlouli est incompatible avec l’efficacité. Ce sera donc désormais à Monaco que le Lyonnais aura l’occasion de prouver ce qu’il vaut, et pourquoi pas ce qu’il mérite. S’il parvient à rattraper ces années de perdues, il peut réussir une grande carrière. On n’a pas la prétention d’être sûr de nous. Mais on a la faiblesse d’en avoir très envie.

Pierre Prugneau


(Photo Damien LG)

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