Grégory Coupet : « Les années où on gagne sont celles où on s’éclate entre potes »

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SOUS L’HORLOGE. On s’est souvent demandé quel goût on garderait de ces années de domination de l’OL. Pour l’image, on sait. Elle renvoie bien souvent à celle de Juni fixant la balle avant de tirer un coup franc. Pour le goût, on se souvient de ce Picon qu’on pouvait commander entre la Croix-Rousse et le 7e. Le rituel tombait en même temps qu’un autre, à l’écran, quand Coupet faisait le vide autour de lui, figé dans sa concentration, avant de rentrer sur le terrain. Ce n’était plus seulement le signe du match qui allait commencer, mais celui de la domination qui pouvait continuer.

L’air de rien, on en est encore là quand on le retrouve dans un troquet du 16e parisien, où il dit se sentir « comme à la maison ». Parce qu’on peut se donner des nouvelles du Grand Large ou des dernières vacances passées entre potes à sillonner les routes du Grand Ouest, le vrai, être interpelé par un client qui le prend pour un tennisman ou deviner le serveur à l’affût des anecdotes qui promettent de défiler. On va devoir passer en revue onze années vécues à Lyon, de l’anti-chambre du succès avec la bande à Cavé, Maurice et Laville, à la domination sans partage aux côtés de Cris, Sid et Juni. Comme bien souvent avec Coupet, la grande et la petite histoire ne forment jamais qu’une seule et même histoire, la sienne. De celles qu’on partage en bande et en vrac, de préférence autour d’un verre. Au moment de lancer un entretien qui promet de durer moins de temps qu’il n’en faut pour disputer un match, Greg est déjà à la hauteur du chic type qu’on nous a évoqué à plus d’une reprise. Raison de plus pour commander un Picon.

 

Avec ton rôle de consultant sur RMC, tu es passé de l’autre côté. Cette nouvelle vie te plaît ?

Oui, j’aime beaucoup. Quand j’étais en activité, ça ne me dérangeait absolument pas de répondre aux médias. Pour moi, ça faisait même partie du métier. En tant que joueur, je ne privilégiais pas un journal plus qu’un autre. N’ayant jamais eu d’agent, je n’avais personne pour me dire vers qui aller. C’est sans doute un détail qui a eu son importance. Pour le reste, c’est aussi une activité qui me permet d’avoir le même rythme qu’au cours de ma carrière de joueur : j’ai ma vie à Madrid, je monte la semaine à Paris. Je peux continuer à prendre l’avion comme on prend un taxi. Et ça, j’adore !

Penses-tu déjà avoir réussi à établir un rapport particulier avec les auditeurs ?

Par moments, on me reproche d’être trop corporate. Plutôt que de dire d’un joueur qu’il est nul ou que c’est une pipe, j’essaye d’expliquer pourquoi il a été mauvais sur un match. Par exemple, je comprends que Ruffier se soit senti blessé par les critiques reçues après le match contre le Paris Saint-Germain. Parce que je sais qu’il existe une vraie paranoïa quand tu es footballeur. Tu as beau ne pas lire ce qu’il se raconte à ton sujet, tu auras toujours des gens pour te faire savoir quand on te taille.

C’est une nouvelle activité qui t’oblige à regarder beaucoup de matchs…

C’est ce que me dit ma femme ! Depuis trois ans, je lis, je regarde et je vis football. Alors que jusque-là, j’extériorisais surtout avec le rugby.

« En étant à l’OL, les jeunes doivent apprendre la culture de la gagne »

Que penses-tu de cet OL qui ne va pas jouer de Coupe d’Europe pour la première fois depuis 1997 ?

J’avais déjà pris un premier coup le jour où ils ont perdu 3-0 contre Madrid (8e de finale de Ligue des Champions, mars 2011). Après ça, les gens ont commencé à venir me voir en regrettant notre époque. Aujourd’hui, je vois bien qu’il y a eu un retour en arrière, ne serait-ce qu’au niveau du budget. Mais je suis content de voir qu’il y a toujours du talent et surtout un savoir-faire qui reste. Je sais ce que le club a mis en place et comment on y travaille, que ce soit au niveau de la formation ou du groupe professionnel. J’en suis d’autant plus ravi que Rémi Garde, en tant que directeur du centre de formation, et Stéphane Roche aujourd’hui ont permis le passage de relais. Non seulement les jeunes sont bien pris en main, mais on retrouve en plus une vraie identité lyonnaise. Je me dis qu’il y a là un énorme potentiel.

On te sent très optimiste.

À condition de rester modestes. Par exemple, on a beaucoup parlé de la préparation physique. Je suis attristé que Robert Duverne ait pu être mis en cause sur le nombre de blessures. Bien plus que la préparation physique, ce que je mettrais en cause, ce sont ces jeunes joueurs chez qui tout le travail de l’ombre peut apparaître moins efficace. L’idée de se reposer, tu finis par en mesurer l’importance au fil de ta carrière, notamment quand tu sais que tu dois jouer tous les trois jours. Il faudrait que tous ces jeunes joueurs n’aient absolument aucun doute sur le staff. D’abord parce qu’il y a un savoir-faire à Lyon. Ensuite parce que l’encadrement a encore amélioré les conditions de travail. Quand je vois qu’ils ont construit cette fameuse butte pour les sprints, je me dis ça ne peut pas aller à l’encontre de la performance. Si je dois avoir un doute, c’est sur l’expérience qui peut encore manquer à certains pour jouer au très haut niveau. Dans ce sens, cette année sans coupe d’Europe peut être un mal pour un bien…

« En 1997, on fait partie d’une même génération de jeunes joueurs, tous célibataires, pas encore mariés. On comprend alors qu’on va devoir grandir tous ensemble, entre potes »

Selon toi, il faudrait des voix qui portent davantage dans le vestiaire ?

Bien sûr. Mais s’ils sont ouverts, ces jeunes n’ont qu’à demander : Bernard Lacombe, Jo Bats, Flo Maurice, Bruno Genesio, Gilles Rousset… Jusqu’à l’intendant, Guy Genet, qui est un ancien joueur lui aussi. Toute cette expérience me fait dire qu’il y a toutes les conditions à Lyon pour que ces jeunes-là puissent grandir : ils sont non seulement dans le bon club pour apprendre, mais aussi dans celui qui va leur apprendre la rigueur du très haut niveau. En étant à l’OL, ils doivent apprendre à rendre des comptes et donc à avoir la culture de la gagne.

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Greg Coupet avec Violeau, Laville et Bréchet lors du mythique match contre Bruges en 2001. « À une époque, on se retrouvait toujours au Ninkasi autour de bières et d’un plat de frites pour discuter de foot et refaire le match. C’est comme ça qu’on a pu anticiper ensuite pas mal de situations délicates. » (Photo Alain Mounic – FEP / Panoramic)

 

« Bernard Lacombe, il ne te parle pas d’un club. Il te parle de son club »

Toutes ces conditions sont-elles présentes quand tu arrives à Lyon en 1997 ?

Quand j’arrive, le stade n’est pas plein. Pour toute infrastructure, on a des Algeco. Mais tout ça, on a su le compenser par une vie de groupe. En 1997, on fait partie d’une même génération de jeunes joueurs, tous célibataires, pas encore mariés. On comprend alors qu’on va devoir grandir tous ensemble, entre potes. Pour moi, les années où on gagne à Lyon, ce sont des années où on s’éclate. Aujourd’hui, le professionnalisme impose d’aller de plus en plus vite. Pour rêver à l’équipe de France, tu devais compter une centaine de matchs au compteur. Maintenant, une bonne saison suffit. Pour des joueurs de plus en plus jeunes, ça devient difficile d’assimiler tout ça d’un coup. Quand on parle aujourd’hui de cadres à Lyon, on parle de qui ? De Gonalons, de Lacazette, de Grenier ? Ils ont quel âge ? (Rires) Les cadres que j’ai connus s’appelaient Cavéglia ou Gava. Il fallait un autre niveau d’âge et d’expérience avant de pouvoir prendre le relais à son tour. À l’intérieur du club, tu avais aussi un autre leader qui était Bernard Lacombe.

Lacombe qui était votre entraîneur à l’époque…

S’il y a bien quelqu’un qui est là pour te transmettre la connaissance, l’histoire et même la passion du club, c’est lui. Il t’oblige à ressentir ça comme une affaire qui vient des tripes. Bernard Lacombe, il ne te parle pas d’un club. Il te parle de son club. C’est différent.

Quel était le rapport de Lacombe avec la fonction d’entraîneur, au-delà de la seule transmission des valeurs du club ? Un peu comme Rémi Garde, on a senti comme une gêne par rapport à ce rôle…

Je pense que ça le dévorait. Entraîneur, c’est une fonction déjà bien compliquée. Alors quand en plus tu as le club dans les tripes, la crainte de décevoir tes proches et d’échouer est encore plus forte. Les sentiments finissent par être exacerbés.

Tu penses que c’est ce qui est arrivé à Garde ?

Même s’il a réussi à faire du bon boulot, Rémi a fini par se faire bouffer par ça. Le besoin de prouver et de se prouver en même temps, c’est toujours compliqué. Je l’ai connu quand il n’était pas encore entraîneur. On prenait le café ensemble le matin à Tola Vologe et on discutait de plein de sujets. J’ai toujours vu un mec posé avec une vraie retenue. Jamais je n’aurais cru le retrouver hors de lui et à hurler sur l’arbitre depuis le banc de touche. C’est là que je me dis que ce métier rend dingue.

C’est le métier qui rend dingue ou c’est le club qui finit par user les hommes ?

Non, c’est le métier qui rend dingue. Je te rappelle que j’ai aussi connu Antoine Kombouaré ! (Rires)

« Bats ne cherche pas à changer un gardien. Il se sert de ses qualités »

Parmi les entraîneurs, il y a toujours Joël Bats qui a commencé avec toi au club. Comment se passe votre rencontre ?

C’est Aulas qui m’en parle en 1999 : « On pense à Joël Bats… » Le rêve ! En tant que joueur, c’était ma référence: de la sobriété, de la technique, un côté félin. Il n’était pas bien grand, mais avait une vraie classe. Le mec qui fait des grands gestes et ne fait que boxer, ça ne me va pas. Pour être un pompier, il ne faut pas être en panique. Bats, c’était le style que j’aimais. À l’époque, j’avais Patrick Paillot, un ancien latéral, qui m’entraînait. C’était génial, mais il me manquait ce discours ou plutôt cette sensibilité qui n’appartient qu’aux gardiens quand il faut se dire les choses. Ce qui est passé tout de suite par cette volonté qu’a eue Jo de chercher des exercices pour que je m’adapte à l’équipe ou au style d’attaquant qu’on aurait en face.

« Tous les journalistes viennent me voir en me disant qu’[Anthony Lopes] est trop petit et qu’ils ne croient pas en lui. Pour commencer, on fait la même taille. Ensuite, c’est encore le seul gardien que j’ai vu aller chercher des ballons sur la tête de Zlatan »

Tu comprends tout ça quand il arrive au club ?

Oui, c’est tout de suite de la magie. Quand on était en stage à Tignes, il aurait pu me demander de traverser le lac à la nage, je le faisais. Je ne sais pas si cette relation-là existe encore avec ses gardiens, ne serait-ce que parce que je l’ai vu jouer et qu’il était ma référence. C’est sûrement différent pour Anthony Lopes qui ne l’a pas connu en tant que joueur.

Pourquoi la part de magie du boulot de Bats semble-t-elle toujours opérer ?

C’est d’abord lié à l’engagement d’un entraîneur de gardien qui est beaucoup plus physique que pour n’importe quel autre entraîneur. Il faut conserver une force pour pouvoir taper la balle tous les jours. Et puis il y a cette proximité du groupe des gardiens qui forme une équipe dans l’équipe. Jo y est très sensible. Si Antho a en lui cette sensibilité-là, il risque de monter encore plus haut.

Sur Twitter ou à l’antenne, tu passes ton temps à défendre Anthony Lopes…

Parce que tous les journalistes viennent me voir en me disant qu’il est trop petit et qu’ils ne croient pas en lui. Pour commencer, on fait la même taille. Ensuite, c’est encore le seul gardien que j’ai vu aller chercher des ballons sur la tête de Zlatan. J’ai eu peur que cet engagement soit freiné quand il est revenu de sa blessure aux vertèbres. Il m’a vite rassuré. On lui a d’ailleurs beaucoup reproché de ne pas disséquer suffisamment les situations et de sortir n’importe comment. Alors que justement j’ai toujours trouvé très positif de le voir sortir. Ce qu’il est en train de confirmer cette année en se montrant encore plus performant et plus propre dans ce registre. La preuve, la tendance est en train de changer dans les médias à son sujet.

Il n’y a pas une forme de reconnaissance de ta part dans ce compliment ? On se rappelle de toi comme d’un gardien de combat.

C’est toujours gênant de dire qu’il me fait penser à moi. Du coup, je préfère dire que je me vois bien en lui. Qu’il y a des similitudes.

Et c’est lié à vos aptitudes naturelles ou au travail de Bats qui pousse ses gardiens à  jouer dans ce sens ?

Jo ne cherche pas à changer un gardien. Il se sert juste de ses qualités pour tenir le discours qui saura le canaliser. Par exemple, la première chose qu’il m’a apprise, c’est de moins m’entraîner. Comme j’étais persuadé de ne pas avoir spécialement de talent, j’avais l’impression qu’en travaillant tout et tout le temps je pourrais progresser. Jo a fait en sorte de mener mes entraînements de façon plus posée. À faire plus de qualité que de quantité.

« Quand on me dit qu’un gardien doit être fou, je réponds que c’est impossible. Parce qu’il doit savoir rester suffisamment lucide pour pouvoir analyser ses défenseurs »

Il faut croire que ça a marché : entre 2002 et 2008, tu apparais comme le gardien le plus régulier avec Oliver Kahn.

Je pense que Jo a su exploiter tout mon potentiel. De mon côté, je ressentais une grosse sérénité. Je me rappelle d’un coup franc super chaud dans les dernières secondes à Nice. Après le match, Richard Benedetti (qui commentait le matchs sur OLTV à l’époque, ndlr) vient me voir : « Quand tu plaçais ton mur, t’étais serein. » C’est là que se situe la force d’un gardien. Quand tu commences à dégager cet état d’esprit-là, tu deviens indestructible.

« Mes défenseurs centraux devaient être avant tout des potes »

Cette sérénité, elle vient aussi de la relation que tu pouvais avoir avec ta défense ?

Quand on me dit qu’un gardien doit être fou, je réponds que c’est impossible. Parce qu’il doit savoir rester suffisamment lucide pour pouvoir analyser ses défenseurs. Dans la vie, tu ne t’adresses pas à tout le monde de la même manière. Dans une défense, c’est la même chose: il y a celui qu’on doit piquer, celui qu’il faut au contraire rassurer ou encore celui qu’il faut calmer. Si tu ne comprends pas ça, tu peux amener tes défenseurs à faire n’importe quoi. Mon objectif, c’était qu’ils occupent la position que je souhaitais pour être le plus à l’aise possible. C’est aussi pour ça que mes défenseurs – et plus particulièrement mes centraux – étaient avant tout des potes.

T’avais vraiment besoin de cette proximité sur un terrain pour devenir performant ?

Parce qu’ils avaient besoin de moi autant que j’avais besoin d’eux ! Par exemple, quand je vois Koné jouer, il est évident que cette confiance n’existe pas. Tu vois des incompréhensions quand Lopes sort alors que les situations doivent être nettes. Avec Rose, Umtiti et Bisevac, cette affinité-là peut manquer. Si j’avais un conseil à donner à Antho et à ses défenseurs, c’est qu’ils apprennent à se connaître.

En passant du temps ensemble en dehors du terrain ?

En étant capables d’aller boire un coup. À une époque, on se retrouvait toujours au Ninkasi autour de bières et d’un plat de frites pour discuter de foot et refaire le match. C’est comme ça qu’on a pu anticiper ensuite pas mal de situations délicates.

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« La présence de Guy Genet a été déterminante dans la création de cette atmosphère. En tant qu’ancien footeux, il a attiré notre attention sur l’importance de la vie de groupe. » (Photo Hugo Guillemet – Le Libéro Lyon)

« Je vois bien que Jean-Michel Aulas est en train de faire all in »

On en revient toujours à cette bande de potes. C’était une caractéristique des années Santini et Le Guen?

Quand j’arrive à Lyon, il y a un groupe qui a déjà vécu une première expérience très forte face à la Lazio en coupe d’Europe (16e de finale de coupe d’UEFA en octobre 1995, ndlr). On a voulu surfer sur cette vague-là et maintenir ce goût du succès pour regarder plus loin. Avec Flo Laville ou Cavé, on partageait suffisamment ce côté « mecs normaux » pour savoir ce qu’on voulait : être entre potes et vivre quelque chose de très fort.

« Il y a des valeurs dans un barbecue qui sont bien plus fortes qu’une prime de match »

Pourtant, quand tu arrives, l’OL n’a encore rien gagné. Ressens-tu cette montée en puissance ? Comment vis-tu l’arrivée de Sonny par exemple ?

Je me rappelle de l’été 1999 quand certains noms commençaient à être évoqués : Tony Vairelles, Pierre Laigle et Sonny. Si un seul d’entre eux arrivait, je trouvais déjà ça génial. Finalement, on fait la reprise avec les trois. Tony Vairelles qui cassait tout avec Lens – une vraie galère à chaque fois que je me retrouvais face à lui. Pierre Laigle qui jouait en équipe de France et revenait d’un passage à l’étranger. Le genre d’expérience qui, comme celle de Daniel Bravo, a contribué à faire grandir le club. Et puis Sonny. Là, c’est vrai que l’ambition arrive tout naturellement. Surtout, on a la chance de trouver des mecs suffisamment intelligents pour comprendre qu’il y a un groupe qui existe déjà. Et au final, ce sont eux qui se sont adaptés à nous et pas l’inverse.

Du point de vue des suiveurs de l’époque, l’arrivée d’Anderson apparaît comme une rupture majeure dans le projet lyonnais. De ton côté, ça paraît moins évident.

Je vois bien que Jean-Michel Aulas est en train de faire all in. Après, la force de cette histoire se situe dans une évolution qui s’étale sur plusieurs saisons. Par exemple, la présence de Guy Genet a été déterminante dans la création de cette atmosphère. En tant qu’ancien footeux, il a attiré notre attention sur l’importance de la vie de groupe. En modifiant les plans à Tola Vologe ou en installant un Algeco pour en faire un lieu de vie où nos femmes pouvaient venir, où l’on pouvait se retrouver après l’entraînement pour jouer aux fléchettes.

Tu valides donc l’idée que les barbecues de Bats étaient déterminants pour aller chercher un nouveau titre ?

Mais ouais ! Même Jean-Michel Aulas en organisait au club. C’était très basique, mais c’était extraordinaire ! Tout le monde était là et c’était une famille qui se retrouvait. On a aussi fêté les titres à Saint-Tropez, un truc de dingue. On se le dit souvent avec mes potes rugbymen, il y a des valeurs qui ressortent de ces moments-là qui sont beaucoup plus fortes que tout le reste. Bien plus fortes qu’une prime de match. On apprend à se connaître. Le jour où tu ne sais plus qui est la femme de qui, ça veut dire que tu n’es plus qu’un pro. Et pour moi, le foot, ce n’est pas ça. 

« J’ai réalisé avec Houllier la difficulté d’avoir un discours qui relance la mécanique »

Est-ce que cette atmosphère change pendant les années Houllier ?

Non, Houllier était fort. Non seulement, il nous a apporté ce côté anglo-saxon en augmentant les infrastructures, en faisant un restaurant. Mais de l’intérieur, c’était aussi quelqu’un d’adorable. Il a continué à nous faire grandir sur le terrain tout en restant très humain.

Ce qui tranche avec l’image qu’on en a alors.

Je me souviens de son arrivée quand Nino Wiltord dit : « Tout sauf lui ! » Faut savoir qu’entre-temps, il a manqué d’y passer, ce qui a certainement contribué à changer le personnage. Du coup, celui que j’ai connu est un coach qui nous fait confiance, qui nous responsabilise et qui ne s’adresse pas à nous comme à des gosses, mais qui fait en sorte de parler à des hommes.

« Quand un mec attaquait mon stoppeur, il savait qu’il en avait encore deux face à lui. Ce sentiment-là n’est pas quantifiable, mais je peux te dire qu’on faisait en sorte que l’attaquant le ressente très fort »

Ça se manifestait comment au quotidien ?

Par exemple, ce que j’adorais, c’est qu’avant un match il était capable de nous dire : « Tel adversaire, de toute manière, il ne marque pas en dehors de 18 mètres. S’il va ailleurs, laissez-le. On s’en fout. C’est là qu’il est performant et pas ailleurs… » N’importe quel autre entraîneur pense qu’il doit tout te dire parce que, comme ça, il t’aura toujours prévenu. Houllier nous prenait aussi bugne à bugne, devant tout le monde : « Lui là, l’ailier droit, il est meilleur que toi ? Ah ouais ? Ah ben je demande à voir… » (Rires) T’imagines ? Tu te dis, putain… Il savait nous donner confiance : « Les gars, vous êtes forts ! » C’est vrai qu’on était forts ! C’est là que j’ai réalisé la difficulté d’avoir un discours qui relance sans cesse la mécanique, que ce soit en championnat, en Coupe de France ou en Ligue des Champions. Chaque fois, on ressortait de ses causeries transcendés.

Il met aussi en place un système, ce 4-3-3 « serpent à sonnettes », dans lequel tu avais un rôle important, notamment sur les premières relances.

Il donnait à chacun des consignes qui étaient très précises et faisait en sorte qu’on ait un vrai rôle à jouer. Personne n’était noyé dans le collectif, chacun se sentait important. Et c’est ce qui faisait sa vraie force.

Comment ça se passait du côté de la défense ?

Cris, Pat Müller, Claudio Caçapa ou Edmilson devaient savoir que s’ils étaient passés, j’étais là. Qu’ils se disent : « Greg est derrière. » Par exemple, quand on parle du recul-frein, c’est un travail qu’on mettait en place à l’entraînement. C’était à moi de leur dire stop quand je sentais qu’ils étaient trop bas. Et là, c’était à eux de jouer: ils attaquaient le mec pour l’obliger à faire au moins un crochet long. Au pire, pour me passer, l’attaquant devait se lancer dans un second crochet. Et là, il avait encore un défenseur derrière. Donc quand un mec attaquait mon stoppeur, il savait qu’il en avait encore deux face à lui. Ce sentiment-là n’est pas quantifiable, mais je peux te dire qu’on faisait en sorte que l’attaquant le ressente très fort.

« Je ne pouvais pas me déplacer de la même manière avec Pat’ qu’avec Claudio qui allait à 2000 à l’heure. C’est à la fois de l’intelligence tactique, mais aussi situationnelle et surtout collective »

Cette complicité, tu l’avais de la même manière avec Müller, Cris et Caçapa ?

J’ai lu votre interview de Pat’ et je me disais qu’il a toujours ce don pour se sous-estimer. Parce que c’était pas une charrette ! Lui aussi, il savait courir vite. Il n’était peut-être pas le plus costaud, mais il était toujours très intelligent. Il savait comment se placer, quand mettre un coup d’épaule. Un vrai bonheur ! Et puis, ça reste la plus grande passe intérieur du pied que j’ai vue à Lyon ! Je devais donc avoir cette réflexion parce que je ne pouvais pas me déplacer de la même manière avec lui qu’avec Claudio qui allait à 2000 à l’heure. C’est à la fois de l’intelligence tactique, mais aussi situationnelle et surtout collective.

Puisque tu nous parles de Claudio, on voulait te montrer une action pour que tu nous la décrives…

Face à Rivaldo contre Barcelone ! (Rires) Là, c’est l’arrêt atypique de ma carrière.

Mais pourquoi Caçapa te met une passe aussi pourrie ?

Mais parce qu’il est sous pression ! Il est en panique totale ! (Rires) En même temps, s’il la fait comme ça, c’est qu’il sait que je me démerderai avec !

Tu penses vraiment pouvoir mettre la balle en corner à ce moment-là ?

On va dire que je fais confiance à mes cannes. Comme j’ai un bon coup de tête normalement, je me dis que je vais y arriver. Et là je vois que ça tape la barre, la balle qui monte et Rivaldo qui fait « Hi ! Hi ! Hi ! ». (Il imite Gargamel qui se frotte les mains) C’est reparti aussi vite que c’est revenu. Aujourd’hui encore, mon fils me demande : « Mais comment t’as fait ? » Disons qu’à l’époque, j’avais quelques kilos en moins, des cannes de folie et des abdos de dingue. C’était sans doute le travail qui payait.

À propos d’action mythique, dans l’autre sens, il y a la passe décisive du poteau pour Inzaghi face à Milan en 2006…

À l’origine, c’est aussi un bel arrêt. Je la sors par la droite et elle fait poteau-poteau. Je me dis que j’ai fait mon boulot. C’est après que c’est cruel.

« Karim avait une qualité de vitesse dans les enchaînements qui était exceptionnelle. Généralement, quand un jeune monte en pro, il lui manque cette vitesse d’exécution. Ils mettent toujours plus du temps à comprendre la situation pour faire le bon contrôle. Karim avait déjà cette capacité à voir vite et à faire preuve de la justesse technique qui lui permettait d’enchaîner »

Parce que c’est une possible victoire en Ligue des champions qui se joue sur un poteau ?

C’est ce qu’on s’est toujours dit. Parce qu’on avait réussi à éteindre San Siro. Normalement, c’est l’enfer : un environnement difficile, une mauvaise pelouse… Là, on a senti qu’on leur faisait peur. Et ça se joue à pas grand chose. C’est là que des joueurs comme Pippo Inzaghi ou Shevchenko qui ne sont pas toujours reconnus à leur juste valeur t’imposent le respect. Franchement, quels guerriers !

« C’est Juni qui accélérait notre jeu »

Puisque tu en as vu défiler quelques-uns, quel est l’attaquant qui t’a le plus impressionné ?

J’adorais Shevchenko. Mais je parle souvent d’un mec que j’ai côtoyé, Flo Maurice, qui était un vrai attaquant. Le mec qui te regarde tout temps, qui sait toujours où tu es placé et qui finit par te mettre sous pression. Par exemple, il savait que j’avançais beaucoup. Son dernier geste face à moi, c’est un lob qui tape la barre au stade des Costières. Ce plaisir de faire suer le gardien, c’est pour moi la marque des vrais attaquants comme Inzaghi ou Papin qui ne te laissent jamais relancer tranquille. Je savais que si je jouais relâché, ils étaient là. Dans un autre style, Fred était quelqu’un d’impressionnant lui aussi. Ceux qui au Brésil me disaient qu’il n’avait pas de technique, je leur rappelais la virgule qu’il sort face à Eindhoven – petit pont, frappe et but ! Après, c’est vrai que Fred a toujours eu besoin de physique pour être bien. Et c’est certainement ce qui lui a manqué cet été.

L’OL a aussi été une machine à sortir des attaquants. Tu as vu grandir des jeunes talents comme Benzema ou Ben Arfa. Tu te rappelles de leur arrivée ?

« Je peux te dire que j’étais content d’être numéro 1 à Lyon parce que Juni qui tire un coup franc, c’est l’enfer. Rémy Vercoutre a été fantastique sur ce coup et je pense que Juni peut le remercier »

C’était une révolution dans la mesure où on avait deux jeunes joueurs qu’on présentait déjà comme des stars. Hatem avait un vrai talent pour éliminer, mais il avait tendance à jouer la tête dans le guidon. Karim avait une qualité de vitesse dans les enchaînements qui était exceptionnelle. Généralement, quand un jeune monte en pro, il lui manque cette vitesse d’exécution. Ils mettent toujours plus du temps à comprendre la situation pour faire le bon contrôle. Karim avait déjà cette capacité à voir vite et à faire preuve de la justesse technique qui lui permettait d’enchaîner.

Au-delà des attaquants, on ne peut pas passer à côté du cas Juni.

Je peux te dire que j’étais content d’être numéro 1 à Lyon parce que Juni qui tire un coup franc, c’est l’enfer. Rémy Vercoutre a été fantastique sur ce coup et je pense que Juni peut le remercier.

Au-delà de cette qualité, qu’est-ce que sa présence changeait pour vous ?

Ce qu’il imposait à l’adversaire. Tu sentais qu’une fois qu’on passait les 40 mètres, les mecs hésitaient à faire faute. Là encore, ce n’est pas quantifiable, mais tu savais qu’un coup franc à 40 mètres avec lui devenait une occasion de but. Du coup, les adversaires jouaient sur la réserve. Si bien que cette force individuelle devenait collective.

« Je me souviendrai toute ma vie de cette inscription taguée sur l’enceinte du stade à mon arrivée: Olmeta président ! Breton titulaire ! On veut pas d’un sale Vert ! »

Est-ce que ça veut dire qu’il a changé les règles ?

Non, parce que Juni a su lui aussi s’adapter à nous. Comme Sonny, c’est quelqu’un d’intelligent. Je crois que c’est précisément ce qui fait la différence parmi les grands joueurs. Ce qui s’entend toujours d’ailleurs quand il s’exprime aujourd’hui en tant que consultant.

C’est étonnant parce qu’on se souvient aussi de la sortie de Govou, qui reprochait à Houllier d’avoir construit l’équipe autour de lui.

Il était devenu incontournable ! Pas seulement pour ses coups francs, mais aussi dans le jeu qu’il savait rendre plus fluide. Il avait la qualité technique pour dribbler, mais jamais il ne cherchait à en faire trop, le plus souvent en une ou deux touches de balle. Il avait cette vista qui lui permettait de voir les mouvements des autres, de faire la bonne passe sans avoir à en rajouter. C’est lui qui accélérait notre jeu.

On a souvent été étonnés par les témoignages à son sujet, évoquant à l’occasion un joueur un peu flippé, sentant constamment le besoin d’être rassuré.*

C’est sûr que ce n’était pas un guerrier dans les attitudes. C’est par exemple un mec qui avait peur en avion. Il n’avait pas cette image du gars solide, prêt à aller au feu tout le temps. Mais une fois sur le terrain, il retrouvait ses repères.

Bats devait quand même l’appeler pour le rassurer les veilles de match.

Je pense que c’est propre à tous les grands techniciens : ils ont besoin de ressentir cet amour autour d’eux. On a compris qu’il était unique et qu’on avait besoin de lui. On savait quand il fallait être protecteurs avec lui. Sans pour autant manquer d’être durs quand il le fallait.

Ça veut dire quoi être dur avec Juni ?

Dur comme on l’a tous été les uns envers les autres. Quand je dis ça, je pense à Ibra: je ne vois personne être dur avec Ibra. Nous, on savait parler à Juni comme on se parlait entre nous. Parce qu’on était tous au même niveau. Une façon de lui rappeler qu’il faisait complètement partie du groupe. De son côté, lui n’en rajoutait jamais: toujours sobre et très tranquille.

« C’est surtout une équipe pour jouer aux cartes… »

Olympique Lyonnais

 

Quand j’arrive à Lyon, Olmeta vient d’être viré pour le coup de poing qu’il a mis sur Sassus. Christophe Breton, un vrai Lyonnais, est le second gardien. Surtout, c’était mon coach quand j’étais au Puy-en-Velay ! Tu imagines la situation ? Je me souviendrai toute ma vie de cette inscription taguée sur l’enceinte du stade à mon arrivée: « Olmeta président ! Breton titulaire ! On veut pas d’un sale Vert ! » On part en stage et Christophe me dit : « Je suis en train de négocier mon contrat. S’ils me prolongent, je suis le numéro 2 et il n’y a pas de problème. Si ce n’est pas le cas, c’est la guerre ! » On se revoit plus tard et il me dit : « C’est la guerre ! » Super ! Mon coach, t’imagines ? Du coup, c’était compliqué, mais j’ai eu de la chance d’avoir en face de moi quelqu’un d’honnête. C’est pour ça que mon onze va être plutôt sentimental…

Quels copains tu mets en défense ?

Pour la défense centrale, je vais galérer. Je vais mettre mon Pat’ Müller parce qu’avec lui c’était vraiment bien. Je suis aussi obligé de mettre Flo Laville. Lui, c’est mon ami et c’est un guerrier que j’ai vu jouer avec une entorse de cheville. Avec un type comme lui, je sais que je vais au feu tous les jours !

Sur les côtés ?

À gauche, Malouda et Abidal, parce que c’était la meilleure doublette. À droite aussi, Antho Réveillère avec la Gove, c’était fantastique !

On arrive au milieu.

Je vais te mettre des mecs comme Tof Delmotte, Fifi Violeau et Pierre Laigle. Si je mets Juni à l’extérieur, je dois pouvoir te monter une équipe à 23 ! (Rires) T’imagines, il restera encore des mecs extraordinaires comme Diarra et Essien ! Tant pis, je fais une équipe de vieux. C’est surtout une équipe pour jouer aux cartes… C’est vrai qu’on était bons pour ça aussi ! (Rires)

Il te reste à trouver ton attaquant de pointe.

Je n’ai plus qu’un attaquant à placer ? Je vais faire comme le Barça : pas d’attaquant et Juninho en faux neuf. Ou alors mon John Carew si je reste sur mon idée d’équipe de potes et de guerriers. D’ailleurs, en te citant tous ces noms, c’est là que je me dis qu’il faudrait qu’un jour je rappelle tout le monde et qu’on se fasse un barbeuc’ !  Ah ouais, un barbeuc’…

Propos recueillis par Hugo Guillemet et Serge Rezza

(Photos Hugo Guillemet – Le Libéro Lyon)

*Lire l'entretien avec Christian Lanier : "À deux jours du matchs, tu retrouvais Juninho terrorisé"

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