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Gérard Houllier : « L’OL méritait de gagner la Coupe d’Europe »
- Publié le: 25 décembre 2015
ENTRETIEN. Gérard Houllier n’a passé que deux années à Lyon, mais il reste à ce jour le meilleur coach de l’histoire du club, pour la simple et bonne raison qu’il a mis sur pied la meilleure équipe de l’OL de tous les temps. On avait donc beaucoup de choses à lui demander. Ça tombe bien, il avait plein de choses à nous dire.
Quand on se retrouve début novembre, Gérard Houllier en a déjà beaucoup dit. Dans son livre, Je ne marcherai jamais seul*, pour commencer. Lequel n’a rien du seul plaidoyer servant à dissiper les incompréhensions qui ont pu rythmer sa carrière. C’est avant tout l’histoire d’un parcours qui se dessine, où l’on apprend jamais aussi bien qu’au milieu des tempêtes pour construire le succès d’après. Gérard Houllier en a aussi beaucoup dit dans la promotion qui a précédé notre rencontre. Trop, pense-t-il, au vu des polémiques déclenchées. Alors, dans cet espace, que reste-t-il encore à dire ? Poursuivre ce qu’on a commencé avec d’autres témoins des années de domination et construire l’histoire à hauteur d’hommes. Ce qui tombe plutôt bien. D’abord parce qu’il semble que Gérard Houllier, depuis sa place de meilleur entraîneur de l’histoire de l’OL, connaît les hommes mieux que quiconque. Ensuite, parce que cette question n’en finit pas d’agiter la vie du club depuis qu’il l’a quitté. Et si l’idée d’un retour agite encore la chronique, c’est que la succession n’a toujours pas été réglée. Encore fallait-il pouvoir le dire.
« Un jour, la France entière s’apercevra
de l’importance d’Aulas »
En Angleterre, vous apparaissez comme celui qui a rebâti Liverpool. En arrivant à Lyon, vous racontez qu’il vous a fallu prendre en compte le « patrimoine » du club.
Quand j’arrive, le club a déjà acquis un certain niveau de vécu et d’expérience avec les titres de champions et les parcours européens. On me donne une Formule 1 : beaucoup de joueurs sont déjà là et l’équipe est en place. Je comprends que finir deuxième représenterait une contre-performance. (Rires) Du coup, dès ma prise de fonction, je procède à quelques réglages que j’estime importants pour la suite : je déclenche le retour de Müller, je mène le recrutement de Tiago et je réussis, par téléphone, à convaincre Govou de rester.
Mais quand on parle de patrimoine à Lyon, on parle aussi de l’identité du club, des personnes qui lui sont liées et qui, pour certaines, sont déjà en place, notamment du côté du staff.
J’ai toujours eu l’habitude de garder les staffs en place. Parce qu’ils connaissent les joueurs, mais aussi les us et coutumes du club, ils vous font gagner du temps. Je savais déjà que Joël Bats était compétent. Rémi Garde, j’ai fait en sorte qu’il reste. Et j’ai appris à travailler avec Robert Duverne. Je n’avais pas l’habitude de travailler avec un préparateur physique et je dois dire que ses méthodes m’ont très vite plu. Robert ne cherchait pas à fabriquer de simples athlètes, mais plutôt à faire des athlètes pour le football. Au final, je n’ai amené que Patrice Bergues avec moi. Je pense que ça a été « a good move », comme disent les Anglais. Une bonne initiative.
Il faut aussi que les relations se mettent en place avec Jean-Michel Aulas.
Je connaissais Jean-Michel quand nous siégions au Conseil d’administration de la Ligue et lors de commissions paritaires du temps où j’étais encore directeur technique. J’avais déjà pu mesurer son impact et son intelligence. Lui, c’est un président qui fait bouger les choses. Un jour, on s’en apercevra. Pas seulement à Lyon, mais aussi dans la France entière.
Vous évoquez autre personnage déterminant dans votre arrivée, Jérôme Seydoux. On connaît surtout la relation Aulas-Lacombe, mais on en sait moins sur la relation Aulas-Seydoux. Vous la percevez comment ?
En tant qu’actionnaire important du club, Jérôme Seydoux était régulièrement impliqué et même consulté dans les grandes décisions. Bernard Lacombe m’avait expliqué que le recrutement de Sonny Anderson s’était fait grâce à son investissement personnel. Pour mon cas, il n’y avait certes pas besoin d’un investissement financier, mais plus d’une caution. Ce qui me semblait logique. Quand on voit le rôle qu’il a joué dans l’achèvement et la construction du Grand Stade, on peut mieux comprendre aujourd’hui son importance.
« Tactiquement, tout se jouait à l’entraînement »
Dès votre arrivée, vous prenez directement part à une première affaire majeure, avec le départ d’Essien. Où le club profite de votre connaissance du marché anglais.
Chelsea en propose 20 millions d’euros et on passe à 38 millions. On va dire qu’on l’a bien vendu. (Sourire)
Étrangement, vous parlez très peu de l’arrivée de Tiago. Alors qu’il s’agit d’un vrai coup gagnant.
Lors du transfert d’Essien, on a été malins avec le président en mettant une clause dans le contrat pour avoir une option prioritaire sur Tiago à 10 millions d’euros. Je connaissais Tiago pour l’avoir vu jouer une dizaine de fois pendant la saison 2004-2005, alors que j’étais consultant pour TPS. Il m’avait impressionné à chaque fois que je l’avais vu jouer. Surtout, parce qu’il correspondait au style de joueur que j’aime bien. Il s’est tout de suite imposé comme la solution idéale pour remplacer Essien.
« J’avais déjà Mouhamadou Diarra. Un milieu défensif, ça me suffisait. Il me fallait un profil plus complémentaire pour évoluer avec Juninho. Ce que pouvait apporter Tiago en tant que box-to-box player »
Ce n’est pourtant pas du tout le même type de joueur qu’Essien.
Michael était bien plus défensif, mais j’avais déjà Mouhamadou Diarra. Un milieu défensif, ça me suffisait. Il me fallait un profil plus complémentaire pour évoluer avec Juninho. Ce que pouvait apporter Tiago en tant que box-to-box player. Il avait l’énergie et la qualité d’efforts pour permettre au jeu de se construire depuis l’arrière et de passer par le milieu. Il pouvait aussi bien donner un coup de main dans le registre défensif, en évoluant aux côtés de Djila Diarra, que cadrer avec le jeu de Juni, plus créatif et davantage tourné vers l’animation offensive.
Vous faites aussi évoluer le 4-3-3 hérité de Le Guen en y introduisant la technique du « Serpent à sonnettes ».
Cette stratégie correspondait surtout aux situations où l’on butait sur la défense adverse : vous partez d’un côté, vous revenez de l’autre, vous repassez et vous attendez qu’il y ait le décalage qui vous permettra de trouver l’ouverture pour passer. Dans ce registre, Tiago a très vite compris ce qu’on voulait faire.
Justement, ce dispositif, comment se met-il en place ? Il est déterminé par les joueurs que vous avez ou bien est-il le résultat d’une réflexion menée bien plus en amont ?
Non, c’est à l’entraînement que ça s’est joué.
Mais comment ?
Vous devez développer un système d’entraînement avec des exercices qui vont amener vos joueurs vers des situations que vous voulez obtenir en match. Par exemple, comme je voulais qu’on presse haut, il m’arrivait de mettre en place un système dans lequel l’équipe qui défendait marquait un point si elle faisait plus de cinq passes dans son camp. Les autres devaient donc presser suffisamment haut pour qu’on l’en empêche et qu’on l’oblige à jouer long. Après, quand on récupérait, je voulais certes qu’on construise, mais aussi qu’on aille beaucoup plus vite afin de pouvoir verticaliser le jeu. Il fallait donc avoir des jeux, des exercices et même des oppositions autour de thèmes bien précis pour gagner cette profondeur qui allait permettre à cette verticalité de s’exprimer. Ou, quand on était bloqués, d’autres exercices qui permettent de développer la technique du Serpent.
On imagine que certains joueurs ont dû faire évoluer leur jeu.
Les défenseurs surtout. Quand je suis arrivé, ils avaient tendance à allonger un peu vite. (Rires) D’autant que dans mon système, les latéraux avaient un rôle plus important. Par exemple, quand on jouait côté droit et que l’arrière était impliqué, je n’hésitais pas à demander à mon latéral gauche de venir jouer lui aussi très haut. Derrière, je ne conservais qu’un triangle défensif, avec Djila Diarra placé devant les deux centraux.
La chance a été de pouvoir compter, côté gauche, sur un duo qui a formidablement fonctionné dans ce registre.
Parce que Malouda rentrait et libérait le couloir pour Abidal. Malouda était un joueur qui pouvait jouer aussi bien en 10 que comme attaquant. Il venait créer un surnombre au milieu, mais il avait toujours une solution pour écarter le jeu avec Abidal. Il a d’ailleurs beaucoup progressé tactiquement, Abidal.
À Barcelone ?
Non, avec nous ! Si Barcelone l’a pris, c’est parce qu’il progressait ! (Sourire)
En écoutant Coupet nous parler du recul-frein mis en place avec sa défense, on voyait aussi l’entraînement comme le moment où pouvait se dessiner une répartition des tâches extrêmement précise. Or, vous en revenez souvent à cette notion de relance fondatrice dans la construction.
Mais Coupet avait lui aussi un rôle là-dedans. Un des plus beaux buts qu’on ait marqués, face au Real, part bien de sa relance.
Et pourtant, il se dédouanait, racontant qu’il laissait la question tactique à d’autres joueurs, comme Müller. Comme s’il y avait besoin, sur chaque ligne, d’un joueur plus responsable que d’autres pour servir de relais tactique.
C’est vrai qu’il y a des joueurs qui comprennent plus vite. Par exemple, Wiltord était très intelligent tactiquement. Avant le match face au Real, je dis à l’équipe qu’il ne sert à rien de marquer Roberto Carlos : il va monter, mais il va monter seul. Je donne donc pour consigne de le laisser faire, en confiant à Tiago le soin de le surveiller autour du milieu, qu’il ait au moins l’impression de monter. Pendant ce temps-là, Sylvain devait occuper l’espace libéré. Il a tout de suite pigé le moment où il fallait y aller. Tactiquement, le troisième but reste un des plus beaux buts qu’on ait marqués – parce que c’était vraiment une action répétée à l’entraînement. Pour ça, il fallait aussi des joueurs qui apportent quelque chose tactiquement. Ce qui était le cas de Juninho, de Tiago et même de Cris qui lisait très bien le jeu.
« La possession pour la possession,
ça fait chier tout le monde »
Est-ce que vous auriez pu faire évoluer ce jeu-là ?
Oui, parce qu’on avait vendu déjà beaucoup de joueurs et qu’on aurait dû le faire avec d’autres joueurs.
Vous aviez déjà une projection sur la façon dont vous auriez pu faire évoluer l’OL ?
Probablement en étant plus décisifs dans les phases de transition. En faisant en sorte qu’à la récupération du ballon, il y ait plus de prise de risque et qu’on joue plus vite vers l’avant. Je ne crois pas à la possession pour la possession. D’abord, et excusez-moi du terme, parce que ça fait chier tout le monde. Ensuite, parce que, ce qui est important, c’est de pénétrer l’adversaire. Soit en le déséquilibrant par un passe longue ou par un débordement s’il est en place. Soit, si vous ne le déséquilibrez pas, en allant très vite vers l’avant pour ne pas avoir à attendre qu’il soit en bien en place.
Vous aviez des joueurs qui étaient appelés à prendre plus de responsabilité dans cette perspective-là ?
Je pense que Rémy aurait été intéressant dans cette phase-là. Au niveau technique et même tactique, Benzema avait l’intelligence pour y arriver.
En 2007, un peu avant de quitter le club, vous aviez dessiné une évolution possible du dispositif dans laquelle Benzema serait appelé à devenir le nouveau leader technique, permettant au 4-3-3 de passer au 4-4-2.
« Le club a de bons formateurs et une bonne philosophie. Laquelle rejoignait assez ce que je pouvais penser, à savoir qu’il faut surtout jouer pour gagner. Donc jouer avec l’idée d’attaquer et de marquer des buts »
Ce rôle prévu pour Benzema ressemble, en partie, à celui tenu par Lacazette la saison passée.
Il y a sans doute des caractéristiques physiques et même athlétiques communes. Mais Benzema serait plus un avant-centre en soutien, quand Lacazette apparaît comme un joueur qui cherche à jouer dans les intervalles. Dans ce registre, il me ferait plus penser à Wiltord qu’à Benzema.
Ce qui nous amène à la question de la formation lyonnaise. Qu’est-ce qu’il y a de différent à Lyon ?
Ils prennent d’abord des bons joueurs.
Ce sont surtout des joueurs de la région. La question est aussi de savoir où se situe la plus-value du club.
Le club a de bons formateurs et une bonne philosophie. Laquelle rejoignait assez ce que je pouvais penser, à savoir qu’il faut surtout jouer pour gagner. Donc jouer avec l’idée d’attaquer et de marquer des buts. Ce qui vous oblige aussi à mettre en place d’exercices plus compliqués à l’entraînement. Après, pour pouvoir repérer certains jeunes, je faisais en sorte de les intégrer lors de séances où je savais que l’intensité serait proche de celle d’un match. C’est précisément parce qu’il nous a toujours posé des problèmes lors de ces séances que j’ai pu, par exemple, découvrir Rémy.
Cette question de l’intensité était frappante quand on voyait les entraînements à l’époque.
Parce que s’il y a une notion sur laquelle j’ai toujours insisté, c’est celle d’enchaînement – on attaque, on défend… Un match, ça n’est jamais qu’une série de séquences de deux-trois minutes où on récupère le ballon pour attaquer et où il faut défendre si on le perd. On a donc introduit cette notion de continuité dans les exercices et dans les jeux afin qu’un joueur ne déconnecte pas sous prétexte qu’il a perdu le ballon. Qu’il ait tout de suite quelque chose à faire pour l’équipe.
« Une causerie est une improvisation
que l’on prépare tout au long de la semaine »
Un autre aspect qui revient souvent quand on évoque votre mandat à Lyon concerne la relation aux joueurs et la motivation que vous pouviez insuffler pendant les causeries. Coupet nous a même avoué avoir compris qu’il ne pourrait jamais devenir entraîneur en vous écoutant.
Ça fait plaisir. (Sourire) Pourtant, il faut savoir que je ne crois pas du tout à cette notion de motivateur. Pour moi, le rôle de l’entraîneur est de créer les conditions optimales pour la motivation des joueurs, qu’elles soient matérielles, psychologiques, financières ou sportives. En bref, tout ce qui permettra au joueur de trouver la responsabilité et la confiance dont il a besoin. Ce qui passe aussi bien par les contrats que par l’attention portée à la qualité des terrains ou par la création d’un petit restaurant sur le centre d’entraînement pour que le groupe ait un lieu qui lui appartienne. Après arrive le jour du match. Là, je ne parle plus de l’adversaire. Je ne parle que de nous en essayant au maximum de varier l’approche – qu’elle soit collective, par lignes ou plus individualisée. Comment ça marche ? Je dirais qu’une causerie est une improvisation que l’on prépare tout au long de la semaine en observant les joueurs pendant les entraînements. Je notais certains faits qui m’avaient marqué pour pouvoir les leur rappeler avant le match. Là, c’était comme une pastille de confidence. Et je peux vous dire que ça les bluffait. (Sourire) Surtout que je faisais en sorte de n’avoir rien d’autre à dire de toute la journée, tout en sachant très précisément ce que j’aurais à leur dire le moment venu. Pour ça, il fallait que ma causerie soit faite pour eux. Quand on est jeune entraîneur, on a tendance à concevoir ses entraînements et ses causeries pour soi, en se demandant sans cesse si on a été bon. (Rires) Quand on a plus d’expérience, on se pose d’autres questions : quel message faire passer ? Que faut-il donner pour convaincre les joueurs ? Ont-ils bien reçu le message ? Je sais qu’Aulas a dit que j’étais celui qui l’avait le plus marqué pour les causeries.
Pour Coupet, il y avait une autre différence. D’après lui, plutôt que de vouloir tout dire, vous cherchiez à concentrer la causerie autour de quelques points très précis à retenir. Comment on en arrive à construire ce genre d’intervention ?
« Juni était un leader technique, Wiltord était un leader d’efforts, Coupet était un leader charismatique. Après, on avait des leaders guerriers comme Cris »
Il faut pouvoir s’adresser à tous. Qui plus est dans un effectif que vous avez fait évoluer vers les 18-20 joueurs, où tous n’étaient pas titulaires.
Mais vous faites comprendre assez facilement que tout le monde contribue au succès.
Même quand il faut envoyer des internationaux en tribune ?
Ce qui est très important, c’est de rester honnête et d’avoir toujours du respect pour chacun. Il ne faut pas, sous prétexte qu’un joueur ne joue pas un match ou deux, que vous l’ignoriez complètement et que vous le laissiez de côté. C’est très important de faire comprendre que chacun reste concerné. Par exemple, les lendemains de match, j’allais le plus souvent voir les remplaçants, quitte à ignorer les titulaires. Pour faire sentir qu’on est là pour tout le monde. Tout le reste renvoie à l’amour propre des joueurs et au rôle que veulent bien tenir les partenaires pour que ceux qui jouent moins se sentent soutenus.
Il y a un joueur qui, paradoxalement, semblait réclamer plus de confiance que d’autres, c’est Juninho.
Il faut savoir que vous avez différents types de leaders. Celui qui veut être le plus beau et le meilleur, style Ibrahimovic. Celui qui est prêt à tout casser parce que son seul intérêt est de battre l’autre. Et puis, il y a le leader qui est plus tourmenté. Parce qu’il est perfectionniste. Cantona était un peu comme ça. Juninho, lui, avait toujours peur de ne pas pouvoir faire aussi bien que ce qu’on attendait de lui. Ce que j’ai compris très tôt et ce qui a facilité la gestion psychologique.
Ça s’exprimait comment dans le rapport au quotidien ?
Il faut d’abord le protéger en mettant moins d’attente sur lui. Vous le rassurez en lui rappelant ses références des matchs précédents, en évitant de donner dans le verbiage. Et puis, vous n’hésitez pas à lui confier de nouvelles responsabilités : « Cette fois, je n’attends pas de toi que tu mettes la dernière passe ou que tu mettes des buts. Je voudrais que tu conduises l’équipe, que tu parles… » Là, vous le grandissez et il s’en sent gratifié. Et puis, de toute manière, vous savez que les joueurs comme lui se libèrent dès qu’ils se retrouvent dans le jeu. Comme s’ils n’étaient jamais aussi heureux que dans l’action et dans le football.
« À Lyon, on n’aime pas vraiment les mecs
qui la ramènent un peu trop »
Vous aviez d’autres joueurs sur lesquels vous appuyer sur le terrain ?
J’ai toujours dit qu’il fallait différents types de leaders dans une équipe. Juni était un leader technique, Wiltord était un leader d’efforts – spectaculaire à l’entraînement et tellement professionnel. Par son expérience au sein du club, Coupet était un leader charismatique. Après, on avait des leaders guerriers comme Cris.
Et Govou, vous le situez où ?
J’ai une faiblesse pour lui. D’abord, parce que c’est un joueur honnête. Je pense qu’il aurait pu faire une carrière bien plus importante et bien plus aboutie que ce qu’il a fait. Dans l’effort, il restait impressionnant !
Il y aussi le cas des jeunes joueurs qui devaient passer à un autre statut en arrivant à Lyon. On peut penser à Toulalan à qui, selon vous, il n’aurait fallu qu’un quart d’heure pour s’adapter. Pourquoi lui y est-il parvenu quand d’autres jeunes joueurs aujourd’hui peinent à se défaire de la pression qui leur tombent dessus ?
Je pense que c’est la marque des joueurs intelligents qui savent rester ambitieux. Il ne faut pas prendre des joueurs qui ne viendraient que pour la paye. Il faut prendre ceux à qui vous pouvez expliquer que, sur leur lit de mort, on va se souvenir de ce qu’ils ont réalisé en tant que joueur. Toulalan avait pour lui cette intelligence-là, mais aussi le sens du collectif. J’étais allé le voir plusieurs fois avant qu’on le prenne. Je sentais qu’on ne pouvait pas se tromper. C’était du roc, du solide. Tout en dégageant une forme d’humilité qui cadrait bien avec l’ensemble lyonnais. À Lyon, on n’aime pas vraiment les mecs qui la ramènent un peu trop. Ce qui est plutôt bien, d’ailleurs.
Que restait-il alors à lui dire quand il arrive à Lyon ?
« À Milan, on a quatre occasions nettes dont un tir sur le poteau. On a manqué de chance. On ne va pas la refaire »
J’ai discuté avec lui du rôle qu’il devait tenir. Djila Diarra était encore là, mais on savait qu’on allait le perdre à court terme. Ce qui a fini par arriver à la fin du mois d’août. Le Real ne s’est d’ailleurs pas trompé : ils ont été champions avec lui. (Sourire)
De son côté, l’OL réalise une première partie de saison 2006-2007 remarquable.
On a pris 50 points sur 55. Et on a joué l’un de nos tous meilleurs matchs à Rennes (défaite 1-0), à dix, contre onze après l’expulsion de Juninho. Qu’est-ce qu’on avait bien joué ce jour-là !
Avant ce drôle de ralentissement en janvier.
J’en connais les raisons, mais je ne veux pas les mettre sur la table.
Janvier 2007, ça correspond au moment où le projet du stade accapare Jean-Michel Aulas, avec l’entrée du titre entre en bourse. Côté vestiaire, il y a le départ de Caçapa qui semblait fédérer les Brésiliens. Est-ce qu’il fallait y voir la fin de quelque chose ?
L’équipe manque quand même de remporter un doublé face à Bordeaux en finale de Coupe de la Ligue et remporte le titre avec plus de quinze points d’avance. Je pense qu’elle méritait, à un moment ou à un autre, de gagner la Coupe d’Europe. Ou du moins d’aller en finale ou en demi-finale. D’ailleurs, elle a fini par y aller trois ans plus tard.
En 2007, il y a surtout ce souvenir d’une tristesse folle en huitième de finale retour de Ligue des Champions, face à la Roma.
On avait fait 0-0 là-bas. J’avais dans l’idée de faire durer le match. On paye un mauvais placement sur le premier but de Totti. Sur le deuxième, on est trop naïfs. On pousse alors que la mi-temps est là et on prend ce raid de Mancini. C’est le football. On finit toujours par apprendre quelque chose.
« J’aurais sans doute préféré avoir l’écurie
plutôt que la Formule I »
Une saison plus tôt, on sentait pourtant que c’était bon, à Milan…
Les gars méritaient sans doute de passer ce jour-là. Mais si vous ne concrétisez pas vos actions de but, ça ne pardonne pas.
Coupet racontait qu’ils avaient senti physiquement la peur monter dans San Siro. Alors qu’au match aller, la presse annonçait que l’OL allait se faire manger tout cru par l’ogre Gattuso.
Je pense que la presse a construit un monstre imaginaire dans la tête de mes joueurs. D’ailleurs, pendant les vingt-cinq premières minutes du match aller, à part signer des autographes, les Milanais ne font rien. On les a regardés jouer. Il nous manquait également Juninho. Avec tous les coups francs qu’on a eus ce soir-là près de la surface… Au retour, on en a eu moins, mais on a quatre occasions nettes dont un tir sur le poteau. On a manqué de chance. On ne va pas la refaire.
Mais il y a quand même l’idée d’un 4-3-3 plutôt audacieux qui triomphera deux saisons plus tard avec le Barça. On peut y voir une relation ?
Non. Je ne pense quand même pas que le Barça se soit inspiré de Gérard Houllier.
« Ce sont toujours les bons joueurs qui vous font gagner des titres. C’est pour ça que je pense que Juninho a changé l’OL. La preuve, depuis qu’il est parti, l’OL n’a plus gagné de titre »
Mais dans le choix des joueurs et dans leur façon d’évoluer ensemble…
Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont piqué un joueur de chez moi ! (Rires) D’ailleurs, c’est marrant parce qu’Abidal, un jour, m’a dit : « Il y a beaucoup de similitudes entre vous et Pep Guardiola. » Sur le plan de la responsabilisation et la mise en confiance des joueurs. Pour le reste, je pars du principe que le haut niveau doit être attractif. C’est-à-dire que les mecs qui viennent au stade doivent pourvoir assister à un spectacle. Il faut qu’il y ait une débauche d’énergie bien organisée et bien canalisée. Et comme je pars du principe que ceux qui font le spectacle, ce sont les joueurs, mieux vaut avoir les joueurs techniques qui sauront mener à bien votre plan de jeu. Il y a trois ans, France Football a sorti un classement des 50 joueurs étrangers qui ont le plus marqué le championnat de France. Sur les trois premiers, j’ai eu la chance d’en entraîner deux : Susic et Juninho. Comme par hasard, j’ai gagné des titres avec les deux. (Rires) Ce qui veut dire que ce sont toujours les bons joueurs qui vous font gagner des titres. C’est pour ça que je pense que Juninho a changé l’OL. La preuve, depuis qu’il est parti, l’OL n’a plus gagné de titre.
En évoquant votre succession à la tête de l’équipe dans votre livre, vous expliquez avoir été très surpris de voir l’OL confier un rôle de manager général à Puel. Il n’en a jamais été question avec vous ?
Jamais. Je n’ai rien réclamé non plus. Et si je ne l’ai pas fait, c’est qu’il me paraissait évident que ça ne se ferait pas. Je pense qu’ils ont eu tort. Ils ont bien vu que j’ai quand même bien aidé pour les transferts d’Essien et de Diarra. Qui voulait acheter Diarra ? Fabio Capello qui est un ami. On a pu se téléphoner très régulièrement pour mener la transaction. C’est vrai que j’ai été étonné qu’on me confie les clés de la Formule 1 quand Claude, lui, a hérité de l’écurie. J’aurais sans doute préféré avoir l’écurie plutôt que la Formule 1. J’ai compris pourquoi. Le club ne pouvait pas faire autrement. Il débauchait Claude de Lille, donc il lui fallait une promotion. Je ne regrette rien. Après tout, je n’avais qu’à me concentrer sur les entraînements et sur le jeu. Même si en termes de philosophie, de culture, de développement d’un système, il aurait mieux valu d’y aller comme manager général. Pour pouvoir refaire ce que j’ai pu mener pendant six ans à Liverpool.
Propos recueillis par Serge Rezza
(Photo Marc Robinot – Panoramic)
* Je ne marcherai jamais seul, ed. Hugo Sport, 18 euros