La taupe

Par Florian Bifflard
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Publié le: 13 avril 2018

INCULTURE FOOT. Ne connaissant aucun joueur d’Amiens, le responsable de notre rubrique Inculture Foot a décidé de dresser le portrait de la taupe. Une espèce souvent considérée comme nuisible, mais présente dans chaque vestiaire ou presque et indispensable au fonctionnement du monde du football.

En novembre 2011, le naturaliste britannique Edwin McHarony, discrètement dissimulé derrière une paire de baskets, dépose un journal dans le vestiaire d’un club afin d’étudier le comportement de la faune locale. Les footballeurs apeurés ouvrent l’objet mystérieux et découvrent à l’intérieur le compte-rendu du match de la veille. La taupe est le seul joueur à ne pas consulter les notes : elle connaissait déjà la sienne.

La crise de la presse a accentué le paradigme de l’information sportive, notamment par l’abus de mots mal employés. Les places sont chères : en moyenne, sur 100 diplômés en journalisme, 80 sont inscrits à Pôle Emploi et 100 sur Twitter. De nos jours, il est plus facile de trouver un contrat en Ligue 1 qu’une pige rémunérée en visibilité. Des journalistes sportifs possédant une bonne VO2 max deviennent ainsi footballeurs. En relation directe avec leur rédacteur en chef, ces taupes professionnelles lui fournissent des informations passées sous silence et soudain accessibles au plus grand nombre, une pratique indispensable au bon fonctionnement d’une démocratie. Citons simplement le scandale du Watergate, un fait divers qui fit durant plusieurs mois la une du quotidien L’Équipe (victime de maux du ventre en pleine soirée tacos, un joueur du PSG avait bouché les waters du Camp des Loges, ndlr).

En échange de ses délations, le mouchard s’assure un avenir tout tracé : futur consultant, il sera élevé au grade de journaliste-supporter après un stage d’observation chez Frédéric Hermel. La profession a ses avantages : titulaire d’une carte de presse, cet agent double peut se rendre gratuitement au musée, même s’il semblerait qu’aucun footballeur n’ait pris le temps de vérifier. À Amiens, un joueur appelle ainsi chaque lundi diverses rédactions pour proposer des scoops sur Serge Gakpé ou Prince-Désir Gouano. « Personne ne m’a jamais rappelé, sauf Romain Molina, qui m’a consacré deux livres et voulait obtenir des informations sur la belle-sœur de Khaled Adenon dans le cadre d’un reportage au Bénin d’une durée de six mois entièrement financé sur Ulule. »

Son rôle est mal compris par ses coéquipiers qui s’étonnent de retrouver leurs salaires étalés sur la place publique. La taupe ne mérite pas sa mauvaise réputation. Éternel bouc-émissaire, elle a pourtant son utilité dans l’écosystème football. Source de cet article titré « On va les exploser » et placardé dans les vestiaires, elle permet de motiver les troupes adverses. En révélant que le chouchou de l’entraîneur fume la chicha, elle permet de se débarrasser d’un joueur indéboulonnable mais pas au niveau. En fournissant la composition d’équipe à un pote journaliste en échange d’une bonne note, elle permet aux joueurs de Mon Petit Gazon d’éviter d’aligner un Rotaldo.

Florian Bifflard

(Photo Amiens SC)