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Lair : « Je leur laisse quartier libre dans les 30 derniers mètres »
- Publié le: 27 septembre 2013
SECRETS. En attendant le sommet face au Paris-SG, dimanche (18h45) à Charléty, Patrice Lair revient sur son expérience à l’OL, entamée en juin 2010. Après la première partie de notre entretien, le point sur la méthode Lair. Où il est question de dribble et de psychologie, mais aussi de compos modifiées au réveil et d’une Suédoise « qui donnerait des leçons de déplacements à beaucoup d’attaquants de L1… ».
« C’était Versailles tous les week-ends ! »
Il n’a peur de rien. « Lorsque j’ai rejoint l’OL (durant l’été 2010), le challenge n’était pas gagné d’avance. Jean-Michel Aulas me donnait un an pour remporter la Coupe d’Europe. En même temps, je suis arrivé en grande gueule en lui disant que j’allais la gagner, sa Coupe d’Europe. Il voulait tellement qu’on la remporte qu’il nous donnait tous les ingrédients pour y parvenir. Cette première année, on se déplaçait presque mieux que les mecs, c’était Versailles tous les week-ends ! Aujourd’hui encore, ce qui m’intéresse, c’est d’être le numéro 1. Je l’ai dit aux filles : le jour où je suis le numéro 2, ciao ! »
Il a d’emblée posé ses conditions. « Je voulais tout de suite choisir mon staff à Lyon. Ça a été net et précis. J’avais aussi demandé au président le retour des deux « Américaines » (Camille Abily et Sonia Bompastor, qui avaient quitté l’OL pour rejoindre le championnat US). Au début, ça a fait des étincelles avec certaines joueuses car je n’ai pas la même façon de travailler que Farid (Benstiti, son prédécesseur à Lyon et aujourd’hui coach du PSG). Avant que je n’arrive, elles étaient dans un petit confort. J’ai eu un côté un peu plus dur et elles me craignaient un peu. »
Il lutte contre la routine. « J’essaie tout le temps d’être en évolution. Les joueuses doivent ressentir que tu peux toujours les faire progresser. Dernièrement, on a essayé à l’entraînement de défendre à deux derrière (avant le succès 10-1 contre Muret). La plupart de ces matchs de D1 nous servent de laboratoire. Un jour, on va se faire flinguer comme ça en championnat mais on essaie toujours de produire un maximum de jeu et de le varier. Car au bout de quatre ans, les équipes commencent à nous connaître. Il faut faire comprendre aux filles le besoin de surprendre l’adversaire. C’est ce qui nous a manqué lors de la dernière finale de Ligue des champions face à Wolfsburg. Ce jour-là, on a manqué de peps, moi aussi peut-être. On était un peu cuits psychologiquement et physiquement car ça avait tapé dur depuis trois ans. Et puis cela avait été tellement facile d’arriver en finale que ça nous avait porté préjudice. Là, ce sera mieux avec Twente et Potsdam face à nous. Ce sont de vrais matchs qui vont bien nous préparer. »
« Le jour où mon équipe changera d’elle-même de système, j’aurais gagné mon pari »
Il sait aussi ménager son groupe. « Le mois de vacances pour toutes les internationales, cet été, c’est le plus beau cadeau que j’ai pu leur faire. Elles étaient rincées. Quand j’ai vu le calendrier avec Juvisy à la deuxième journée, je leur d’abord ai envoyé un message pour avancer la reprise de trois jours. Mais quinze minutes plus tard, je me suis dit que j’étais con. Elles sortaient de deux déceptions (finale de Ligue des champions et Euro) et j’ai renvoyé un message pour maintenir le mois de vacances. Elles m’ont toutes remercié. Du coup, elles sont toutes revenues (le 19 août) avec le sourire, de l’envie et affutées. J’ai même rappelé à Louisa Nécib qu’elle était footballeuse et pas mannequin (sourire). »
Il aborde tous les matchs avec la même rigueur. « Avant les matchs, je fais toujours une mise en place, une séance vidéo, une collation et une causerie. Je veux leur donner une identité professionnelle. J’essaie de mettre tous les atouts de mon côté pour gagner les matchs. D’année en année, on continue à être plus pros, dans la préparation, la diététique, etc. Le président l’a compris puisqu’on a changé de terrain à la Plaine des Jeux et qu’on va avoir notre vestiaire et notre salle de musculation. »
Il aime toujours échanger avec son groupe. « La causerie avant Juvisy l’autre fois, c’est fabuleux ! Il n’y avait que 5 minutes de vidéo, mais 35 minutes après on était encore en salle tellement les filles posent des questions. J’ai intérêt d’être nickel car si je suis coincé sur l’une de leurs questions, je passe pour un couillon. Sur le terrain, elles savent tout analyser du coup. Les mecs s’en foutent, ils savent tout faire… Le jour où mon équipe changera d’elle-même de système selon les circonstances du match, j’aurais gagné mon pari. Ce n’est pas encore le cas mais on y arrivera. »
« Tu peux avoir le meilleur collectif du monde, il y a un moment où il te faut l’étincelle »
Il responsabilise ses joueuses. « Il y a des zones où tu ne peux pas te permettre de faire n’importe quoi et il y en a une autre, les 30-40 derniers mètres, où il faut du génie. Au plus haut niveau, c’est le talent qui fait la différence. Tu peux avoir le meilleur collectif du monde, il y a un moment où il te faut l’étincelle et j’ai les joueuses pour ça. Je leur dis quelque fois : « Je veux garder l’équilibre mais si vous déséquilibrez l’équipe et que vous marquez, chapeau ! » Tu peux faire ça avec un groupe qui a de la folie et parfois les filles me surprennent. C’est pour ça qu’à l’entraînement, après un long travail tactique, je finis par un exercice bête et méchant avec centres et finitions. Et là, elles apprennent à se lâcher et à libérer leurs gestes. Je leur laisse quartier libre dans les 30 derniers mètres. Dribblez ! C’est le dribble qui fait le décalage. Dickenmann ou Thomis doivent être capables d’aller foutre le feu par le dribble. Je demande d’ailleurs à Sonia Bompastor (désormais responsable de la formation lyonnaise) de laisser dribbler les jeunes. Plus personne ne sait dribbler aujourd’hui. Trop d’éducateurs brident leurs jeunes à coups de « Donne ton ballon ». Qu’ils s’éclatent et qu’ils progressent ces gamins ! »
Il veut mettre de la technique partout. « Dans mon équipe, la sentinelle peut très bien être une numéro 10. On peut faire décrocher Louisa Nécib car c’est entre les lignes qu’elle est la meilleure avec sa qualité de passes. Si Élise Bussaglia quitte son poste, elle peut très bien se retrouver dans cette zone. Récemment, on a mis en place un 4-4-2 en losange qui se mue en 4-2-3-1 sur les ballons longs. Fais ça avec les mecs, il va te falloir trois ou quatre mois. Avec les filles, c’est réglé en un mois. Sur un losange, on peut davantage garder le ballon quand on a la technique. Les filles doivent toutes être capables de jouer dans tous les systèmes. »
Il sait convaincre les filles. « J’ai expliqué à Eugénie Le Sommer (avant-centre à Saint-Brieuc de 2007 à 2010) que pour être internationale, il fallait qu’elle joue sur un côté. Quasiment pareil pour Laëtitia Tonazzi, j’étais persuadé qu’elle redeviendrait internationale à l’OL. C’est tellement mieux de pouvoir s’appuyer sur des attaquantes comme Eugénie qui peuvent jouer à tous les postes. Et puis les filles savent toutes qu’il y a du monde dans l’effectif, donc elles ont plutôt intérêt aussi de jouer aux postes demandés, sinon le banc de touche est pour elles. »
« Je suis parti pleurer dix minutes tout seul dans le vestiaire après notre victoire contre Kobé »
Il marche à l’affectif. « Quand j’ai eu des propositions et que s’est posée la question de quitter l’OL, j’étais emmerdé car je me sens quand même bien là. J’ai alors pensé aux moments forts qui m’ont permis de gagner des titres. Même si ce n’était pas officiel, la Coupe du monde des clubs au Japon en novembre 2012 est peut-être mon meilleur moment avec Lyon. Je suis parti pleurer dix minutes tout seul dans le vestiaire après notre victoire (1-0 contre Kobé). On était dans le pays champion du monde et c’était un match fabuleux. Là, tu remercies tes joueuses et tu ne l’oublies pas… C’est pour ça que je n’allais assassiner personne devant la presse après la défaite face à Wolfsburg. Dès qu’il faut leur donner un coup de main, elles savent toutes très bien que je suis là. Elles connaissent mon fonctionnement. Si elles ont un problème, elles m’appellent et je vais essayer de le résoudre. Je suis parfois très dur, excessif. Mais même une fille que je vais pourrir à l’entraînement viendra manger avec moi si elle me voit seul à table. C’est donnant donnant. Je viens de permettre à Lotta Schelin de rentrer plus tôt que prévu en Suède pour la trêve internationale car sa sœur venait d’avoir un gamin. Il y a un côté humain à avoir et ça, tu sais que les filles vont te le redonner à un moment donné. Lotta va peut-être me faire gagner un quart de finale car elle se sent en confiance ici. »
Il s’appuie sur une attaquante de classe mondiale. « Lotta donnerait des leçons sur la manière de se déplacer à beaucoup d’attaquants de L1. Cela ferait du bien à certains de la regarder des tribunes pour voir comment elle déclenche ses courses. Quand je vois des abrutis qui font des courses droites où ils sont sûrs d’être hors-jeu… Et l’autre fois contre Juvisy, je croyais qu’elle avait marqué d’un intérieur du pied. Je n’avais pas vu que c’était une Madjer, elle a signé un geste de génie. »
Il est compétiteur avec elles. « En stage de préparation, on se tire la bourre à Tignes. Il ne faut pas se prendre au sérieux. C’est un moyen de leur prouver qu’il ne faut jamais rien lâcher. Quand on court, je dois rester devant, je suis prêt à me faire mal à 52 ans. C’est pour ça aussi que j’ai un staff jeune, pour que ça rigole en dehors, ce qui n’empêche pas de bosser sérieusement sur les séances. Je suis un peu plus souple sur certains points une année sur l’autre, et plus dur sur d’autres. Il ne faut pas un rapport de peur mais de confiance. »
« Mets au moins une attaquante ou ne viens même pas ! »
Il veut secouer les mentalités. « L’année dernière, je m’étais engueulé avec Hervé Didier (entraîneur de Saint-Étienne) car il était venu à Gerland en 5-5-0. Mais comment veux-tu progresser ? Mets au moins une attaquante ou ne viens même pas ! Si d’entrée tu dis à tes joueuses de mettre les barbelés, c’est abominable… Au moins pour la finale de Coupe de France (3-1), il a changé et c’était cohérent. Même si tu n’as pas le potentiel, il faut donner de l’ambition à ton équipe pour qu’elle croie en elle. »
Il tient la pression. « Hervé Didier pense que c’est facile de gagner avec Lyon. Je lui ai répondu qu’il ne tiendrait pas plus de trois mois ici. Les gens ne se rendent pas compte mais il y a de la pression à l’OL. Aulas est derrière moi autant qu’il l’est avec l’équipe masculine. Mais je me donne aussi cette pression. »
Il est imprévisible. « La nuit, il m’arrive de me réveiller et de me dire qu’on devrait plutôt jouer comme ça ou comme ça. Je suis capable de changer d’équipe au réveil. C’est pour ça que les filles ne sont jamais sures de jouer. »
« On est largement capables de tenir une équipe de CFA 2. »
Il veut piquer les incontournables. « Je me suis un peu amusé dès le départ à mettre sur la touche des titulaires à l’entraînement. Je foutais un peu le binz là-dedans. Je me sers souvent du conflit pour voir des filles grogner. Ça amène du peps aux entraînements, de la compétition. Tu les fais chier pour réveiller le groupe. Après un match à Rodez où on avait gagné 1-0, je les avais convoquées à 7 heures le lendemain à la Plaine des Jeux pour un footing. Il faisait encore nuit et même les gardiens n’étaient pas arrivés. »
Il aime donner des défis. « Je pense qu’on est largement capables de tenir une équipe de CFA 2. En 2011, on a joué contre une DH masculine renforcée et les gars ont eu du mal à égaliser. Ils étaient vexés et ils commençaient à mettre des pains. Tu sais, quand tu joues parfois en CFA et que Nécib te met un petit pont… Déjà, à Montpellier, j’organisais des matchs contre des DH ou DHR car on se faisait rentrer dedans, ce qui était une bonne chose avant la Coupe d’Europe. Ce n’est pas impossible que j’en programme un face à une CFA 2 cette saison. Comme les gars vont plus vite et sont plus puissants, ça entraîne plus de réflexion et d’anticipation. »
Il aime bien les joueuses de caractère. « Là où Sonia (Bompastor) me manque cette saison, plus encore que sa patte gauche sur les balles arrêtées, c’est pour son rôle de leader et les engueulades qu’on avait aux entraînements. C’était bien, ça chauffait parfois (sourire) ! »
« Il faut que les joueuses soient persuadées de réussir »
Il tranche vite les conflits personnels. « Avec moi, il n’y a jamais eu de problème dans le groupe. Ou quand il y en a eu entre deux filles, j’ai réglé ça rapidement. Ça dure vingt minutes, c’est net et précis et ensuite ce sont les meilleures qui jouent. C’est comme ça ou alors dehors ! L’autre (Bruno Bini) n’a jamais été capable de faire ça. Il fallait toujours qu’il fasse tout le contraire de moi de toute façon. Jusqu’aux balles arrêtées, il empêchait Louisa (Nécib) de frapper les coups francs pour mettre Soubeyrand, afin que ce ne soit pas une combinaison lyonnaise. Pareil pour le brassard, il ne fallait pas que ce soit une Lyonnaise. Je n’ai pas raconté la moitié des problèmes que j’ai eus avec lui, il était infernal. Au départ, il trouvait même que Wendie Renard était une défenseuse lambda, trop lente… (soupir) »
Il sait leur transmettre sa confiance. « Il faut que les joueuses soient persuadées de réussir. Quelque fois, c’est même de l’intox. Contre Juvisy, Camille Abily allait tirer un coup-franc à 30 mètres et j’ai demandé à Amandine Henry de prendre le ballon. Elle a frappé dans les tribunes mais peut-être qu’au prochain match, elle va me mettre une lunette. Parce que tu leur fais comprendre qu’elles sont capables de le faire. C’est pareil lorsque je veux mettre en place des nouveaux systèmes. Elles se disent : « S’’il nous demande ça, c’est qu’on est capables de le faire. » Là, tu as déjà gagné pas mal de temps. Après, tu leur cires un peu les bottes, tu leur dis qu’elles sont techniques (sourire). Mais ça ne m’empêche pas de leur balancer qu’elles ont des pieds carrés à d’autres moments, sur des exercices faciles où il n’y a pas besoin de trop de concentration. »
Entretien réalisé par Jérémy Laugier et Pierre Prugneau