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« Jorge Sampaoli est moins barge que Marcelo Bielsa, mais il est barge quand même »
- Publié le: 26 septembre 2016
TACTIQUE. C’est peut-être lui la plus grande star du FC Séville. Jorge Sampaoli, arrivé cet été sur le banc du club espagnol, est unanimement considéré comme l’un des plus grands entraîneurs du monde depuis son passage à la tête de la sélection chilienne. Avant OL – Séville, on a parlé du bielsiste avec Christophe Kuchly, spécialiste tactique sur Twitter et ailleurs, co-auteur du livre « Comment regarder un match de foot ? » et intervenant régulier du podcast Vu du Banc sur les Cahiers du Foot.
On a surtout commencé à connaître Jorge Sampaoli lorsqu’il était sélectionneur du Chili, mais il a eu une carrière en club en Amérique du Sud (au Pérou, au Chili et en Équateur) avant ça. Tu as suivi ça ?
J’ai suivi, mais plutôt a posteriori. Il gagne la Copa Sudamericana et deux titres de champion avec Universidad de Chile (Copa Sudamericana 2011 et tournoi d’ouverture et de clôture la même année), qui n’est pas une équipe qui a l’habitude d’aller aussi loin. Il s’est fait sa réputation là-dessus, à la fois sur ses résultats et sur le beau jeu. Et aussi sur le fait d’être très inspiré par Marcelo Bielsa, ce qu’il disait souvent en interview.
C’est grâce à cela qu’il est nommé au Chili, où il reste dans l’héritage bielsiste. Sauf qu’il gagne des trucs – enfin un truc, la Copa America. Au niveau du jeu c’était vraiment du style Bielsa, avec quelques petites différences. C’est un truc qui a beaucoup plu en Amérique du Sud et qui lui a permis d’être connu en Europe, mais pas d’avoir une réputation suffisante pour aller tout de suite au Real ou au Barça. Il lui a fallu un club « intermédiaire » comme Séville. Et encore, il a hésité à repartir quand on lui a proposé le poste en Argentine juste après son arrivée. Mais il avait commencé le boulot à Séville et il est resté par loyauté. Même s’il a une bonne réput’ en Amérique du Sud et une bonne réput’ avec un projet en sélection, c’est quand même son premier gros test. Parce que c’est un autre type de football, parce que c’est en Europe.
On entend souvent dire que c’est un Bielsa en plus pragmatique, qui a réussi à ajuster les petits trucs qui n’allaient pas ou qui manquaient à Bielsa pour remporter des titres…
Séville la moitié du temps c’est un peu dégueulasse à voir jouer. C’est un pressing de barbares, sans doute le plus intense en Europe. Sauf que les mecs s’emmerdent tellement à presser et à se crever tout le match qu’ils sont cramés et n’arrivent pas à créer grand-chose offensivement.
Il est un peu moins barge que Bielsa. Mais il est barge quand même, hein. On le sent vraiment quand on lit ses interviews. Dans So Foot il dit « Je souffre pour le foot ». On sent que c’est un mec qui doit péter des câbles, mais qui pète des câbles tout seul et pas sur ses joueurs.
Je n’ai pas été son joueur donc je ne peux pas témoigner, mais il a l’air beaucoup plus humain et beaucoup moins dans le côté « prof ». Et je pense que c’est aussi ça qui fait que le Chili a gagné, ce qu’il n’avait pas fait avec Bielsa. C’est lui par exemple qui a réintégré Arturo Vidal après sa virée pendant la Copa America parce qu’il savait qu’il avait besoin du joueur et que le mec avait toujours été loyal. Il n’a pas l’air de vouloir créer des problèmes à droite à gauche, mais est plutôt du genre à souffrir en silence.
Au niveau du style de jeu, c’est aussi plus pragmatique. Séville la moitié du temps c’est même un peu dégueulasse à voir jouer. C’est un pressing de barbares, sans doute le plus intense en Europe. Sauf que les mecs s’emmerdent tellement à presser et à se crever tout le match qu’ils sont cramés et n’arrivent pas à créer grand-chose offensivement. En gros ils pressent super haut, récupèrent la balle et ensuite ne savent pas trop quoi en foutre. À part lors du premier match où il n’avait mis que des attaquants et où ça s’était terminé à 6-4 ! (contre l’Espanyol) Depuis c’est des scores beaucoup plus classiques, parce qu’au-delà du pressing, son équipe a du mal dans la création.
Tout le monde s’attendait à des 6-4 quand il est arrivé mais ça s’est effectivement un peu calmé.
Y’a pas de trucs aussi barbares que ce que faisait Bielsa avec du marquage individuel sur tout le terrain.
C’est quoi son schéma tactique en ce moment ?
En fait ça change tout le temps.
Il s’adapte à l’adversaire ?
C’est assez difficile de savoir ce qu’il va faire. La seule chose que tu peux savoir c’est que ça va presser haut et que ça va avoir la possession.
Bon en gros, ça change vraiment tout le temps et je pense que c’est ça qui peut vraiment énerver Lyon. Au-delà du pressing et du fait qu’on vienne te chercher vraiment haut, tu ne sais pas du tout qui tu vas jouer. Si tu regardes les compos probables avant les matchs, les mecs ont faux sur la moitié de l’équipe à chaque match. C’est assez difficile de savoir ce qu’il va faire. La seule chose que tu peux savoir c’est que ça va presser haut et que ça va avoir la possession.
Du coup comment tu voies le match tactique avec Bruno Ramirez Sanchez ? Un petit prono ?
C’est assez difficile à dire parce que Séville a une grosse faiblesse, c’est qu’il y a un seul milieu défensif qui est tout le temps là. C’est Steven N’Zonzi, qui est super important. Si t’arrives à passer leur premier rideau et à leur mettre des contre-attaques, y’a quasiment aucune couverture et t’auras des grosses occasions à exploiter. Et à l’inverse si t’arrives pas à absorber leur pressing tu vas prendre l’eau complètement. En gros si t’arrives à faire une bonne sortie de balle et à ne pas la perdre tout de suite, tu peux limite avoir un 4 contre 4 de l’autre côté du terrain et une grosse occase.
Y’a un premier scénario : comme au Trophée des Champions, Bruno Ramirez ne comprend pas ce qu’il se passe, ça perd la balle à 25 mètres du but et là je pense que c’est parti pour une longue soirée. Il n’y aura même pas forcément beaucoup d’occasions et de buts contre toi : c’est juste que tu ne vas jamais voir le ballon, que tu vas subir et qu’en face y’a quand même pas mal de joueurs offensifs de talent…
Et sinon, si t’arrives à marquer sur une attaque rapide ou une contre-attaque, je pense que tu peux t’en sortir parce que c’est pas une grosse équipe à la création. Après je vois quand même Séville un peu au-dessus. Pour le pronostic j’en sais rien. Je vois Séville au-dessus quand même, 2-1, 3-1 peut-être, parce qu’en plus Lyon d’un match sur l’autre c’est tout et n’importe quoi. Mais il va falloir que Bruno Genesio soit prêt parce que tactiquement c’est la première fois qu’il va arriver face à un truc ultra-préparé à ce point. Et pourtant le projet n’est pas encore fini, je pense que dans six mois Séville ce sera encore un autre délire. Mais il va faire face à un mec qui aura vraiment bossé son match, qui aura vraiment préparé un truc et si ça le prend de court ça va faire mal.
Tu parlais de réussir la première relance, ça peut être intéressant de mettre un mec qui sait bien relancer comme Emanuel Mammana du coup ?
On ne peut vraiment pas être définitif sur Sampaoli. Moi je l’ai été pendant longtemps et en fait on se rend compte que le mec est beaucoup plus pragmatique et cynique que ce qu’on peut penser. Il n’hésitera pas à balancer des longs ballons devant.
Ouais, carrément. Et y’a aussi un autre truc : je n’ai pas l’effectif de l’OL en tête, mais ce serait bien d’avoir un mec qui peut dégager les ballons de la tête. Parce qu’au lieu de faire des relances courtes à la barcelonaise pour arriver dans le camp adverse, Séville balance souvent devant en espérant que la défense adverse dégage et en espérant récupérer le second ballon à 35 mètres du but. En gros pour récupérer le ballon près du but ils le rendent à l’adversaire et font un gros pressing derrière. Ils ont Vicente Iborra qui fait 1,95m et Steven Nzonzi 1,96m. Les chiffres varient selon les sources mais c’est les deux plus grands joueurs de champ de la Liga, et ces mecs-là vont te prendre beaucoup de ballons de la tête. Et s’ils font de longues relances et que t’as Iborra qui dévie tout, tu vas avoir le ballon dans ton camp en permanence, ça va être très difficile. Ça peut être pas mal de foutre un mec assez grand…
Genre en milieu défensif ou en défense centrale…
Oui, dans cette zone-là. Ils mettent Iborra milieu offensif pour pouvoir dégager et trouver directement la profondeur. Si t’es en 3-5-2 tu peux faire sortir un défenseur central, en avoir un qui est un cran plus haut et qui est prêt à aller au duel aérien. Parce que s’ils ne font que ça, des balles aériennes sur des mecs meilleurs de la tête, tu vas galérer, même si tu ne vas pas forcément prendre des buts là-dessus. Mais ça peut aller vite dans l’autre sens : Bilbao a eu des contres ce week-end, et si t’as un Nabil Fekir efficace tu peux vite mener 1 ou 2-0 et gagner le match.
Surtout qu’il y a aussi Maxwel Cornet, qui est rapide et peut prendre la profondeur…
Ouais. Et leur défense bouge beaucoup, Sampaoli y touche pas mal. Il change le profil des latéraux par exemple : un coup il met Mariano qui est très offensif et parfois des mecs beaucoup plus défensifs. Donc ce sera vraiment en fonction de qui est aligné en face. Si Sampaoli veut attaquer, t’auras forcément des actions. Mais contre la Juve, Sampaoli a mis tout le monde derrière donc tu ne peux pas être définitif.
C’est un truc que Bielsa ne ferait jamais. Sampaoli dit toujours qu’il va jouer vers l’avant, contre la Juve il essaie de jouer et presser haut, mais dès qu’ils récupèrent le ballon ils n’en font rien donc 0-0. En seconde période il sent que les mecs sont cramés donc il met tout le monde derrière, limite en 5-4-1 et si ça avait été Dijon qui avait joué c’était pareil. On ne peut vraiment pas être définitif sur Sampaoli. Moi je l’ai été pendant longtemps et en fait on se rend compte que le mec est beaucoup plus pragmatique et cynique que ce qu’on peut penser. Il n’hésitera pas à balancer des longs ballons devant.
Propos recueillis par Hugo Hélin
(Photo Sevilla FC)