« Une défense Devaux-Nesta ? Ç’aurait été bien »

SOUS L’HORLOGE. Quand le nouveau coach de la Duchère revient sur sa carrière de footballeur, il est question de ce tendon d’Achille qui a -presque- tout gâché, mais aussi de kalachnikov et de retrouvailles familiales cinquante ans après.

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Jean-Christophe Devaux, « à domicile » au Longchamp de Miribel, où il vient prendre son café tous les matins.  (Photo Le Libéro Lyon – Pierre Prugneau)

« On faisait des oppositions contre les pros, on leur mettait la rouste ! »

Avec la Duch, vous cherchez à développer l’identité lyonnaise du club. Toi, justement, t’es un vrai Lyonnais, né à la Croix-Rousse. T’as commencé le foot où ?

J’ai commencé à Thil (Ain, à 20 km au nord-est de Lyon), sous fausse licence puisque j’avais 5 ans. Et à 6 ans je suis parti à l’OL. Au début, j’étais attaquant, je jouais devant avec Flo Maurice. Et puis un jour, il y a eu un blessé. Comme j’étais costaud on m’a mis derrière. J’ai fait un match exceptionnel et on m’a dit : « Faut que tu restes derrière. »

Tu termines ta formation par une victoire en Gambardella 1994 (5-0 contre Caen en 1994). Elle vous a tous marqués celle-là.

Attends, ça faisait 23 ans qu’on l’avait pas gagnée ! Le Parc était en rénovation et on joue à Dijon… Mais bon, on s’est baladé. On avait une équipe de fou. On est huit à être devenus pros, avec Fiorèse, Linarès, Jurietti, Fouret, Bellisi, Debec et Giuly. On faisait des oppositions contre les pros, on leur mettait la rouste !

« Olmeta me dit : Vas-y Jeannot ! Va mettre ta tête »

Et tes débuts en pro justement ?

J’intègre le groupe avec Guy Stéphan. Le premier match que je fais, c’est à Faro (13 septembre 1995, 32e de finale aller de coupe de l’UEFA, Farense-OL 0-1, but de Giuly). Il me fait rentrer et je prends un carton jaune au bout de dix secondes. Le mec m’insulte et, réflexe, je lui tire dessus. Mais après je n’ai plus repris un carton. Au retour, on gagne à nouveau 1-0, c’est Sassus qui marque de la tête. Et après, on enchaîne avec la Lazio, à la maison. Et j’ai la chance de marquer. Pour mon troisième match !

Alors raconte ce but.

Le but contre la Lazio ? J’en avais rêvé la veille, je savais. Je ne voulais pas monter au début. C’est Pascal Olmeta qui me dit : « Vas-y Jeannot ! Va mettre ta tête. » Et je monte, tac-tac, et puis voilà : Sylvain Deplace tire le corner, le ballon vient, tête croisée. Et puis je suis parti, j’étais dans les nuages. Après, je sentais plus la fatigue.

Comment se passe la suite de la saison ?

Au début, je ne jouais que la coupe d’Europe. Le premier match que je fais entier en championnat, c’est à Nice, on perd 1-0 à la dernière minute. Et mon premier match à la maison, c’était le Derby. J’avais Moravcik au marquage. Je l’ai pas lâché, j’étais sur tous les ballons. Au bout du compte je fais dix-sept matchs, souvent sur les côtés, à droite ou à gauche. Je suis devenu un joueur d’axe mais avant que je me pète le tendon, j’allais vite, j’étais puissant. J’adorais jouer à gauche : je pouvais rentrer sur mon pied droit et boum. C’est ce que je fais contre Notthingam Forest (en 8e de la Coupe de l’UEFA, élimination 1-0, 0-0) mais le gardien me la sort alors qu’elle était en pleine lucarne.

Qui sont tes potes à ce moment-là ?

Giuly, Bardon, Linarès, Fiorèse, Fouret, les mecs de la Gambard’. Dans le milieu du foot, t’as des amis, mais ceux avec qui j’ai vécu des trucs, c’est eux. Deplace et Patouillard aussi, c’est mes potes. Sinon, je suis toujours en contact avec les anciens comme Cavé ou Sonny. On était une famille : on sortait tout le temps ensemble, on faisait des trucs avec nos femmes. T’as plus cet esprit-là.

« À la mi-temps contre l’OM, on faisait des calculs : ‘Sept et sept, ça fait quatorze !’« 

L’année suivante (1996-1997), tu es titulaire.

Oui, je suis titulaire. C’est l’année où on gagne 8-0 contre Marseille lors de la dernière journée. Je jouais 6 et j’ai mis trois passes décisives. 7-0 à la mi-temps ! Dans les vestiaires, on se regardait et on faisait les calculs : « Sept et sept, ça fait quatorze ! » On a dit que le match était acheté, mais non : tout nous réussissait ! Derrière j’enchaîne avec les Espoirs, les Jeux méditerranéens au Championnat du monde militaire et quand je suis revenu, je me suis pété le tendon d’Achille. Alors que Lacombe m’avait annoncé que je serais titulaire et capitaine.

Une coupe du monde militaire en Iran, ça devait être particulier ?

On avait une équipe de malade : Pierre Ducrocq, Laurent Robert, Linarès, Jurietti, etc. On finit troisièmes mais on doit la gagner dix fois. Sauf qu’on en avait marre. Un mois dans des camps, à rien manger, un truc de fou ! J’ai perdu 8 kg. On n’avait même pas le droit de sortir en short. Le dernier soir, on a craqué, on est sortis à poil. Les mecs nous braquaient à la kalachnikov !

Et puis c’était un peu la compétition de trop pour toi.

C’est le tournant de ma carrière. J’ai envie de revenir en arrière pour ne pas faire les mêmes erreurs et dire au médecin : « Non, je joue pas, j’ai mal au tendon. » Le problème, c’est que je ne voulais pas aller à l’armée. Ils m’ont imposé d’y aller. Lemerre m’a dit : « Si tu viens pas, je te bloque pendant un an. » Et quand je reviens d’Iran, un vendredi, on m’a appelé le soir-même pour que je sois à l’entraînement le samedi, au lieu de me laisser en vacances, le temps que je récupère. Et boom, je me suis pété le tendon. C’est là où je leur en veux : j’étais jeune, j’étais une marchandise.

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« Quand j’ai repris l’entraînement, je pleurais sur le terrain »

Surtout que la Lazio est intéressée. Tu imagines : une défense Devaux-Nesta…

(Sourire blasé) Ça aurait été bien. L’OL me laissait partir. Avec ce qu’ils proposaient… J’avais un contrat de sept ans ! Y avait eu le but, mais au retour, j’avais fait un gros match aussi. J’avais fait des matchs énormes cette saison. Loko, Nouma, je les avais bouffés. Contre Paris, on fait 0-0 à la maison en jouant une heure à dix contre onze. Olmet’ s’était fait sortir pour un attentat : il sort comme un barjot sur Loko… À la fin, limite on gagne le match. J’ai encore l’image en tête : je récupère le ballon, je fais un une-deux avec Sylvain (Deplace) qui me le redonne un peu en l’air côté droit et je la remets de volée sur Franck Gava qui se présente seul face au gardien et qui loupe son face-à-face.

Tu ne joues pas avant janvier 1999…

Je mets beaucoup de temps pour revenir. Déjà, un tendon à l’époque, ça ne s’opérait pas comme ça. Et on m’a opéré deux fois parce qu’ils ont loupé la première opération. Et quand tu te fais opérer une deuxième, tu te dis : « Ma carrière est finie. » Derrière, j’ai une pubalgie… Je faisais de la musculation. Tellement, qu’ils m’ont envoyé à Merano pour perdre de la masse. Les gars venaient souvent à la maison : Cavé, Sonny, Giuly… Ils étaient sept-huit. Ils venaient quand j’étais dans mon fauteuil, puis faire des pétanques à la maison. On avait l’esprit de famille quoi.

Et quand tu as repris l’entraînement, ça s’est passé comment ?

Je pleurais sur le terrain. Je voyais les mecs que je bouffais en vitesse aller deux fois plus vite que moi. Je faisais un contrôle, j’avais l’impression d’aller vite, mais je mettais dix ans pour récupérer le ballon. Tout au ralenti. J’ai fait des matchs avec la CFA, j’ai réintégré le groupe mais je ne faisais que des apparitions de 10 ou 20 minutes. Laville avait pris ma place, il était devenu capitaine, et il me faisait jouer à gauche, à droite, jamais dans l’axe. Alors que je n’avais plus ma vitesse de pointe mais j’avais l’explosivité. Grâce au mental, j’ai pu faire une carrière correcte.

« Putain, j’ai peut-être loupé la Coupe du monde ! »

Mais tu n’as pas pu faire une carrière internationale…

En 1997, les mecs qui jouaient en Italie étaient en équipe de France. Je me dis : « Putain, j’ai peut-être loupé la Coupe du monde ! » Si tu passes un an à la Lazio, automatiquement on t’essaye en équipe de France.

Après, tu pars faire quatre mois en Suisse.

J’ai demandé à être prêté au Servette pour m’aider à me relancer. J’avais besoin de temps de jeu. J’ai fait une douzaine de matchs et ça m’a redonné du peps. À mon retour, Santini venait de reprendre l’équipe et m’a fait comprendre qu’il ne comptait pas sur moi. J’ai failli aller à Bastia mais je me suis retrouvé à Strasbourg.

Sans regret ? À part pour la météo…

Ouais mais Strasbourg, c’était bien. Je suis reparti, j’ai joué à un bon niveau. La première année on descend mais on gagne la Coupe de France contre Amiens aux tirs aux buts.

Avec Chilavert.

Une imposture. Il était cuit. C’était plus un coup médiatique qu’autre chose. Après, on remonte tout de suite avec Ivan Hasek, un super entraîneur.

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Jean-Christophe vient d’offrir la Coupe de Ligue à Strasbourg, un club où il a joué sept ans et où il a longtemps pensé finir sa carrière. (Photo Panoramic – Anthony Bibard)

« Niang voulait le frapper, j’ai dit : ‘Mama, laisse-moi le ballon’« 

Avec Strasbourg, tu vas marquer tes deux autres buts en pros. Encore des buts importants.

Il y a eu le but contre Ajaccio. Si on gagnait, on était quasi sûrs de se maintenir en Ligue 1 (Strasbourg-Ajaccio, mars 2005, 1-0).

Mais il y a surtout ce coup franc en finale de la Coupe de la Ligue. Quelle sensation ça fait quand on donne un titre à son équipe à dix minutes de la fin ?

T’es le roi du monde ! Une semaine avant, contre Lille (23 avril 2005, 1-2), j’étais un peu plus loin, j’avais mis la même frappe et (Tony) Silva me l’avait sortie de justesse. Et ce jour-là, quand c’est arrivé, je l’ai senti. Niang voulait le frapper, j’ai dit : « Mama, laisse-moi le ballon, c’est bon. » J’ai fait à Pagis : « Micka, décale-la moi. » Le temps que je lève les yeux, le ballon était déjà dans les cages. Le gardien, Vincent Planté, dit qu’il fait une erreur. Mais il n’a pas le temps ! J’aurais bien voulu savoir la vitesse. Je l’ai tellement bien prise. Et là, c’était beau, pour Strasbourg, pour l’Alsace. Parce que mine de rien, l’Alsace, au niveau des supporters, c’est énorme. Je suis resté sept ans là-bas, j’ai gagné une Coupe de France (2001), une Coupe de la Ligue : c’était bien.

 

« J’aurais pu former la charnière de la sélection polonaise avec Jacek Bak ! »

Pourquoi es-tu parti d’ailleurs (en 2007) ?

Je pensais finir ma carrière là-bas mais on me l’a faite un peu à l’envers. Quand Papin est arrivé, ils ont voulu se séparer des joueurs cadres. Mais déjà, quand j’avais perdu mon père, après la Coupe de la Ligue, ils n’avaient pas été sympas avec moi quand j’étais moins bien. Le jour où il est décédé, on jouait contre Bordeaux, ils me l’ont dit qu’après. Ils n’ont pas été classes.

En 2005, on parle de toi pour la sélection polonaise.

Je devais y aller mais j’ai eu mon passeport tardivement, en avril 2006. Et il n’y avait plus de matchs amicaux avant la coupe du monde et je n’ai pas pu la faire. J’aurais pu former la charnière avec Jacek Bak !

Quel est ton lien avec la Pologne ?

Par ma mère. Je parle un peu la langue quand même ! Mais je t’explique l’histoire : on fait un article sur moi en Pologne en mentionnant le nom de ma grand-mère. Ma grand-mère est venue en France à la fin de la guerre. Elle s’est échappée d’un camp de concentration et elle est venue avec mon grand-père. Elle n’a pas vu son frère pendant près de cinquante ans et ils se sont retrouvés comme ça. Une belle histoire. Et maintenant, on va retrouver notre famille en Pologne.

« Trop jeune, trop con, à dire toujours oui »

Qui t’a impressionné chez les pros ?

Chez les pros, il y avait Sonny. Il était toujours en train d’inventer des trucs. Après, j’adorais Cavé. C’était Cavégol, le mec qui jouait tout le temps en moulés, même s’il pleuvait. Les mollets qu’il avait… Pagis, c’était la classe aussi. Micka, ils auraient pu le prendre en équipe de France.

Et parmi les joueurs qui étaient au centre de formation et qui n’ont pas percé ?

Il y a Fouret. Il s’est blessé au mauvais moment et après Job a pris sa place. Fouret, c’était un Klinsmann. Le mec qui marquait du tibia, du genou, etc., mais il était toujours là. Vingt-quatre buts en CFA, c’est énorme ! Sinon, il y avait Georges Deltinger. Il jouait avec nous en CFA. C’était un phénomène ! Il était exceptionnel. Mais il a fait d’autres choix, il s’est marié jeune, il a privilégié la famille… Courbis l’appelait tous les jours : « Viens signer ! » Il avait des crochets exceptionnels. Personne ne lui prenait la balle. Georges, c’est un des meilleurs joueurs que j’ai connus.

Au soir du premier titre de l’OL, tu penses à quoi ?

Aux regrets. Aux regrets de ne pas être resté. En plus Laville s’est blessé après mon départ, j’aurais pu revenir. C’est le choix que j’ai fait. Après derrière j’ai gagné une Coupe de France, une Coupe de la Ligue et j’ai pris du plaisir, donc voilà…

Mais le seul regret, ce sera ma blessure. Trop jeune, trop con, à dire toujours « oui ». J’aurais peut-être pris un autre virage sans ça.

Propos recueillis par Pierre Prugneau

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